Anecdote
A la lumière des oubliettes
Pour mon frère.
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Mon père aimait par-dessus tout
l'Histoire, avec un grand H.
Il lisait énormément d'ouvrages historiques et
était incollable sur les lignées des Rois qui firent la France, à grands
renforts de guerres, d'alliances et de trahisons. Il trouvait ça passionnant.
Il pensait également que pour bien comprendre l'Histoire-Géographie que l'on nous enseignait à l'école, il fallait la vivre sur site. Ne pas uniquement l'apprendre par cœur dans un livre ou s'imaginer des contes de fées en regardant des films pleins d'invraisemblances ou romanesques à souhait.
Chaque année, nous avions donc droit à notre lot de visites de vieilles pierres : châteaux, abbayes cisterciennes, tours carrés, pont-levis, églises carolingiennes, cloîtres et autres couvents... et de sites historiques dont il ne restait parfois pas grand-chose debout, il faut bien l'avouer.
Tout ce qui pouvait prêter à apprendre un moment d'histoire y passait. Chaque région de France était prétexte à nous décrire la vie des paysans et de la noblesse, les luttes des Chouans, les fastes de la cour, l'importance des duchés fondés au 9ème siècle par les rois et princes carolingiens qui se partagèrent l'empire de Charlemagne, etc.
Ce matin-là, mon père avait décidé de nous emmener visiter le château de Saumur. Je dois reconnaître que, encore aujourd'hui, je prends mes vacances en France, pour découvrir les charmes des villages oubliés ou de lieux chargés d'Histoire. Il y a tant à voir que je ne puis encore me tourner vers les sites d'au-delà nos frontières, aussi intéressants soient-ils !
Passion transmise, en partie tout du moins, car les lignées des Rois de France ne sont pas restées gravées dans ma mémoire ! Mais mon frère s'intéresse à la généalogie et moi je me souviens de ces magnifiques endroits, où se dressaient parfois des tours qui débouchaient sur des escaliers massifs, des salles dont les murs épais étaient recouverts de tapisseries et de portraits gigantesques, d'objets et de meubles précieux, et de jardins incroyables, labyrinthes géométriques ou petits îlots de verdure parfaitement entretenus.
Nous arrivâmes donc en ce lieu charmant qu'est le château de Saumur. Une visite allait commencer. Le guide nous demanda de nous regrouper. En tout, le groupe de visiteurs ne devait pas dépasser une vingtaine de personnes. Le guide semblait toujours autant passionné par ce qu'il avait dû déclamer plusieurs centaines de fois ; un prodige à mes yeux !
Il commença par nous expliquer que Saumur, ville carolingienne, avait connu ses premières fortifications au 10ème siècle, sous Thibault - Comte de Blois. Puis qu'elle était passée aux mains du Comte d'Anjou en 1026, puis à ses héritiers Plantagenets. Philippe Auguste, roi de France et capétien, l'annexa ensuite à la couronne.
Je reconnais avoir été impressionnée par la construction des tours octogonales. La visite continuait, évoquant le 13ème siècle et la reconstruction du fort par Saint Louis, puis le 16ème siècle avec la mise en place des défenses basses et des bastions suivant un plan en étoile extrêmement moderne (un siècle avant Vauban tout de même !).
Le guide nous expliqua ensuite
que le château devint prison sous Louis XIV et Napoléon.
C'est l'instant où
nous arrivâmes aux oubliettes. Un escalier plongeait vers une nuit humide et
inquiétante.
Le guide alluma une lumière qui, extrêmement faible au regard du soleil que nous venions de quitter au dehors, paraissait presque éteinte. Le groupe suivit néanmoins le guide, non sans appréhension et quelques rires nerveux. Tout le monde était arrivé en bas. Sauf nous.
Fermant la marche, mon père nous avait arrêtés un instant en haut du petit escalier étroit. Amusé, il me montra l'interrupteur et me dit : « tu vois, ça, ce n'est pas d'époque... ».
Lorsqu'il actionna le bouton, le noir se fit dans les oubliettes, provoquant un ensemble de cris qui remontèrent vers nous dans un bel ensemble. Il ralluma presque aussitôt, histoire de ne pas provoquer de panique (on n'est pas des sauvages tout de même ! *) et nous fit faire demi-tour pour sortir.
Les autres personnes du groupe finirent par remonter, aussi vite que leurs jambes le leur permettaient. Le guide réapparut enfin, très mécontent de la situation.
Même si les lumières de secours restaient actionnées, les gens avaient vraiment dû se croire perdus dans le noir durant cette seconde d'éternité de forçat.
Qui sait s'il ne reste pas quelque part des personnes que l'on aurait oubliées au fond de ces sombres cachots ? Après tout, dans la précipitation, personne n'a compté combien étaient remontées des oubliettes !...
Voilà, cette anecdote est
terminée. J'espère qu'elle vous a plu !
Si vous visitez les
châteaux-forts, équipez-vous de votre petite lampe torche pour visiter les
oubliettes... on ne sait jamais...
* Popeck - la leçon de français
Sylveen S. Simon - Juin 2019
Fragment de vie - Anecdote avec mon père