Textes poétiques

Alejandro

Un mosquito en Paris !
                                           * Un moustique à Paris

Alejandro venait de débarquer à l'aéroport de Roissy-Charles-De-Gaulle.
Il venait de faire un long voyage depuis le Mexique, pour rejoindre ses amis Diego et Luis. Paris ! Enfin ! La capitale de l'Amour allait lui offrir ses plus belles nuits !
Il traversa l'aérogare, puis il se dirigea vers le RER. Une heure plus tard, il arriva à la station de Châtelet-les-Halles où ses amis l'attendaient.

- Alejandro ! Enfin te voilà ! As-tu fait bon voyage ?

- Si Diego. Pero... hace frío aquí !

- Hein ? Tu trouves qu'il fait froid ? Dans le RER parisien l'été ? Ouahhh ! alors, là tu m'en bouches un coin cousin !

Diego n'en revenait pas de le voir presque transi de froid sous son épais poncho et son chapeau mexicain. Luis le serra à son tour pour lui faire l'accolade de l'amitié, comme dans leur enfance.

- T'inquiète, Alejandro, tu vas vite t'acclimater. Et regarde un peu autour de toi : tous ces humains qui transpirent à grosses gouttes, tellement serrés comme des sardines en boîte qu'il leur est impossible quasiment de bouger pendant que tu te régales à leurs dépens. C'est la belle vie ici !

Ils entrèrent dans la rame suivante et s'installèrent tous les trois près du plan de la ligne, dont les petites lumières s'éteignaient après chaque station. Cela amusait beaucoup Alejandro qui dansait sur les diodes lorsqu'elles clignotaient à l'approche de la station suivante. Diego et Luis riaient joyeusement de ses pitreries, et se mirent à chanter un air mexicain, histoire de mettre un peu d'ambiance.

Bientôt, ils arrivèrent à la station de La Croix de Berny. Un homme armé d'un accordéon miteux se mit à leur faire une concurrence déloyale en jouant à tue-tête un air étrange qui ne ressemblait à rien. Même la sirène de fermeture des portes était couverte par le bruit tonitruant de l'horrible instrument.

- Mais qu'est-ce qu'il nous fait celui-là ? Allons vers le bout du wagon pour échapper un peu à ça !

- Tu as raison Luis, on pourrait en profiter pour se faire un petit apéro d'ailleurs...

- Très bonne idée !

Les trois acolytes repérèrent une femme qui, écouteurs sur les oreilles et yeux rivés à son téléphone portable, ne faisait pas du tout attention à ce qui l'entourait. La cible était choisie. Ils s'approchèrent en glissant le long de la banquette et commencèrent doucement à siroter leur cocktail. Alejandro appréciait énormément cette consommation de choix, légèrement sucrée !

- Les amis, je vous propose que l'on aille dîner à la station Lozère. Il y a plein de jeunes mets délicieux qui sortent tard...

- Oh oui, bonne idée Diego ! C'est vrai qu'avec l'école polytechnique, il y a souvent des dîners de qualité qui s'offrent à nous là-bas.

- Et Paris ? Yé souis vénou voir Paris, moi ! Ses pitites roues éclairées dé vieux lampadaires, où des femmes léyèrement vêtoues sé pavanent...

- T'inquiète, Alejandro, on ira demain. Ça te laissera le temps de perfectionner ton français.

Diego et Luis éclatèrent de rire.

- T'inquiète, t'inquiète... tou né connais qué cé mot-là toi ! répondit Alejandro avec son fort accent. Puis il accompagna ses amis dans leur fou rire.

L'humain près d'eux entendit des bzzzziii très désagréables près de ses oreilles et chercha à les chasser. Mais les trois compères étaient déjà hors de portée.

- On se fait notre petit challenge, comme quand on était jeunes, les gars ?

- Super idée Diego ! Oui ! Premier arrivé !!!

Les trois amis se mirent à vrombir de toutes leurs forces en direction du parc. Leurs ailes atteignaient les 720 battements par seconde, sur un arc de seulement 39 degrés, soit quatre fois plus vite que n'importe quel autre insecte de la même taille. C'est d'ailleurs ce qui caractérisait cette fréquence sonore de plus de 760 hertz, très désagréable pour l'oreille humaine. Plus jeunes, ils faisaient même mieux, même après avoir dansé et chanté toute la nuit.

- C'est épouisant ! il y a beaucoup trop dé vent ici !

Alejandro était un peu dépité. Il était tellement fatigué qu'il n'arrivait même plus à faire pivoter correctement ses ailes pour les aligner dans le sens du flux d'air, afin de récupérer de l'énergie. Les nombreuses descentes et montées lui faisaient penser à des montagnes russes.

- On est presque arrivés cousin ! On va fêter ce 20 août 2019 comme il se doit !

- Mon corps n'est plou aussi aérodynamique qu'avant, tou sais... yé mé fait vieux...

Diego rit de plus belle et accéléra. Arrivés près de la terrasse du café, ils croisèrent Pablo qui leur conseilla la table sous le lampadaire. Les trois acolytes passèrent une des plus belles soirées de leur vie. Les yeux d'Alejandro brillaient d'émotion pendant que ses amis racontaient de vieux souvenirs vécus ensemble, à l'ombre de porches en bois mexicain, où chacun les applaudissait sur leur passage. Ici, leur talent resterait dans l'ombre. Il n'était pas si simple de briller à Paris !

Sylveen S. Simon - Histoires d'été - Les moustiques

(Août 2019)


* Pour mieux comprendre l'histoire :

- en 1897, lorsque le lien entre la transmission du paludisme et les piqûres du moustique a été établi, la Journée internationale du moustique a été créée (le 20 août), dans le but de lever des fonds pour lutter contre cette maladie.

- voici un extrait de la revue Sciences et Avenir du 25 juillet 2019 - par Franck Daninos : lien - pour plus de précisions sur cet insecte que tout le monde déteste mais somme toute incroyable :
Comme pour la plupart des insectes volants, le mouvement de descente des ailes du moustique génère un tourbillon au-dessus de la partie avant des ailes. Ce vortex engendre une différence de pression, qui produit elle-même une force de portance poussant l'insecte vers le haut. Mais dans le cas du moustique, cette composante n'est pas assez grande pour le maintenir en l'air. Pour y parvenir, le diptère utilise un mécanisme très astucieux : à la fin de chaque descente et de chaque remontée, les deux ailes pivotent, remontent à l'envers et s'alignent dans le sens du flux d'air qu'elles ont provoqué lors du battement précédent, récupérant au passage une partie de l'énergie. Cette rotation génère également un deuxième vortex sur l'arrière des ailes à la remontée, augmentant ainsi la force de portance.

Vous préférez télécharger l'histoire ? ... c'est ici :