Textes poétiques
Animal Totem
Tous mes remerciements à DigiPD, l'auteur de cette merveilleuse image, partagée gracieusement sur Pixabay
ainsi qu'à Vincent Simon dont la voix m'a grandement inspirée !
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J'ai jeté une bouteille à la mer. Remplie des cailloux qui ont marqué ma vie, j'étais certaine que l'abîme s'en emparerait et qu'à jamais elle disparaîtrait. Au lieu de cela, un être étrange la trouva et la ramena en son antre pour étudier ces éclats de moi.
Il sortit une à une chaque pierre, symboles des précipices où je m'étais jetée et de toutes ces routes impraticables que j'avais choisi d'emprunter. Il les étudia minutieusement, observant sous chaque angle ces segments de moi, comme autant de brisures mille fois répétées.
Tout aussi précautionneux qu'une sage-femme, il les déposa sur une petite table de bois, dans l'ordre précis d'où ils étaient sortis. Comme une deuxième naissance, chaque caillou fut ravivé avant de trouver sa place dans la nouvelle création à venir.
Le fond de la bouteille était rempli de petits bouts de calcaire, résidus de mes larmes compressées. Il les étendit sur un morceau de toile, formant ainsi le sable d'une plage dorée, bercée par l'écume de mes plus belles pensées. Pour compléter son œuvre, il plaça les cailloux dans l'ordre de leur renaissance.
L'aigue-marine et la topaze vinrent nuancer l'océan de mon âme. Le péridot de mes amertumes créa un palmier d'un vert éclatant. L'obsidienne de mes sombres nuits passées forma le ciel. Le rubis du sang versé dessina un soleil naissant, repoussant la noirceur des heures vécues.
La toile était terminée. L'être la contempla longuement avant de la rouler, tel un précieux parchemin qu'il glissa dans la bouteille que j'avais jetée. Sur ma frêle embarcation, perdue dans le silence d'une nouvelle nuit, je me laissais porter par les vagues de l'ennui quand soudain, l'être jaillit des flots et me tendit la bouteille.
Surprise, je finis par la prendre délicatement de cette main qui n'en n'était pas une. Je secouais ma bouteille pour mélanger les cailloux quand je m'aperçus qu'ils n'étaient plus là. Une toile enroulée les avait remplacés. Je la sortis doucement pour l'étaler sur mes genoux. Aussitôt, la toile s'anima, me présentant un paysage en mouvement qui m'incita à vouloir découvrir ce mystérieux horizon, brumeux et lointain.
La petite voile de mon embarcation se gonfla d'un nouveau souffle. L'être étrange avait disparu et pourtant, il me semblait toujours présent à mes côtés. Au matin suivant, une île m'apparut. Tandis que j'accostais, mes jambes furent prises de légers tremblements. Cela faisait tellement longtemps que je ne m'étais pas aventurée sur un chemin inconnu ! Mais mon esprit, revigoré par cette nouvelle aventure qui tombait à point nommé, m'insuffla une nouvelle énergie. Dans un sourire, je me mis à arpenter ce nouvel univers, avec dans les yeux la curiosité de mon enfance.
La végétation luxuriante m'offrait ses plus belles senteurs et couleurs. Tous mes sens renaissaient. Ivre d'envie de vivre et d'en découvrir plus, je continuais à avancer sur cette terre inconnue qui m'ouvrait les bras. Je ne me souvenais pas m'être jamais sentie aussi bien. Mais la mémoire nous joue parfois des tours et nous fait oublier des instants merveilleux au profit de malheureux détails qui emplissent l'espace, ronces néfastes nourries par les jours gris. Un arbre cachait ma forêt intérieure. A présent, tout me revenait à l'esprit. J'étais libre. Le bonheur était là à attendre que je le cueille. Chaque plante m'était connue et reprenait sa place en moi.
Assise sur un rocher, mon regard embrassait ce nouveau paysage dont tout mon corps s'abreuvait. Je renaissais. Un léger souffle anima l'herbe autour de moi puis vint faire danser mes cheveux. L'être étrange se tenait à mes côtés et me souriait. Je lui tendis ma main et lorsque nos essences entrèrent en contact, je devins lui et il devint moi, jusqu'à ne former plus qu'un.
Sylveen S. Simon - Ecriture poétique - 20 avril 2020