Textes poétiques
Carnavalesque existence
J'aime la vie et cette incroyable nature qui est là, partout et en tout, à proximité de moi et au cœur de chacun d'entre nous.
J'aime le mystère qui s'en dégage ; celui avec un grand M, qui met en doute mes certitudes et redessine mes sourcils en interrogations. Celui qui refait briller mes yeux d'enfant et qui rallume mon visage d'un sourire étincelant.
Dans ce grand carnaval orchestré par la vie, le mystère est partout. Sa part la plus impénétrable, empreinte d'invisible, d'inexplicable et d'inintelligible aussi parfois, reste pour moi l'amour. Sentiment étrange, dont le parfum évanescent vient adoucir nos jours puis s'évapore, laissant notre âme en proie à l'anosmie la plus infâme, nous privant de l'envie même de goûter à de nouveaux plaisirs.
Mes pensées m'éveillent, mes actes me découvrent aux yeux de ceux qui savent regarder et prennent le temps d'écouter. Je suis un mystère pour ceux qui ne cherchent pas réellement à me connaître. Quant à ceux qui pensent savoir, je me demande quelle partie de moi ils ont bien pu discerner et comprendre sous le masque souriant que je leur présente.
J'ai moi-même parfois l'impression de découvrir qui je suis vraiment, au travers de nouveaux chemins parcourus ou selon les personnes que je rencontre et qui m'accompagnent parfois sur une partie de ma route. Mais connaît-on vraiment un jour notre moi profond ? La vie, en éternel mouvement, ne transforme-t-elle pas sans cesse ce puit sans fond que l'on imagine par instants discerner ?
Au point qu'on se laisse parfois aller à croire à des chimères, balayées par les actions du temps et bien vite remplacées par de nouveaux rochers à contourner, de nouvelles graines à semer, de nouvelles allées à parcourir, jusqu'à un nouveau jardin que l'on vient fleurir.
Je termine l'entretien des fleurs qui réenchantent ma terrasse depuis quelques jours. Je prends en photo l'une d'entre elles...
La belle s'épanouit, attirant les premiers bourdons de ce printemps plus chaud qu'à l'accoutumée. Ses pétales de velours rouge dessinent un portrait flatteur de la charmante au cœur de feu.
Je l'observe. Je m'imprègne de sa senteur, de ses couleurs et de ses magnifiques défauts qui la rendent unique.
Pour celui qui s'y intéresse et modifie l'angle de son regard, sont alors visibles les éraflures du temps et les cicatrices laissées par la vie.
Je la contourne pour découvrir ce qu'elle cache derrière son masque fleuri...
Les traces de sa naissance et du déploiement de ses pétales sont bien visibles. Le bourdon, lui, ne les verra jamais. Il ne s'y intéressera même pas. Et pourtant, la belle va lui offrir sa plus belle apparence pour répondre aux attentes de la vie. Jusqu'à ce que le vent mauvais l'emporte, desséchée par le soleil d'été.
La vie possède sur nous cet avantage : elle n'a pas de passé. Elle est le présent d'une nature qui se réinvente sans cesse, s'adapte, se transforme au gré de son esprit créatif.
Je reste subjuguée par tant d'inventivité sans cesse renouvelée.
Je respire. Je suis bien. Sans artifices, je profite de ce dimanche au naturel, loin des folies et des mascarades de la société.
Je replie le parasol et découvre sur le mur une coccinelle à sept points.
Je m'approche doucement pour ne pas faire fuir cette convive vagabonde.
Je retiens mon souffle...
J'immortalise l'instant en photographiant l'insouciante messagère...
Elle est le symbole de la renaissance.
Renouveau et transformation m'attendent peut-être ? Est-ce cela que tu es venu me dire, jolie création de la nature ?
Cette écarlate compagne voit naître sur mes lèvres un sourire vrai, qui me vient naturellement. Moment de grâce. Elle que beaucoup considèrent comme un présage de chance et voient comme un porte-bonheur, prend-elle le temps de méditer sur cette belle journée ?
Sa carapace étincelante me renvoie comme un miroir l'apparence de ma propre existence, lovée dans ma brillante armure invisible.
Il ne nous aura fallu que quelques secondes pour nous connecter. Elle affiche son masque d'apparence de petit bonhomme rouge, en costume à pois noirs et au chapeau melon enfoncé jusqu'au blanc de ses faux yeux peints. Son gros nez noir lui donne un air guindé de dandy anglais.
Son vrai visage est plaqué contre le mur, à l'abri sous un pronotum qui lui sert de bouclier. Elle cache ses ailes fragiles sous ses élytres, tout comme je cache mes rêves au creux de mon lit.
Deux tâches blanches, présentes de part et d'autre de sa tête, amplifient le côté menaçant de son masque. A qui pense-t-elle faire peur en dehors de quelques timides pucerons ?
Je souris. Tout comme elle, j'utilise des artifices pour intimider ceux que je n'ai pas invités à entrer dans mon cercle. Fausse cuirasse de piètre guerrière, dont les armes émoussées laissent un corps fatigué affronter seul les derniers instants d'une existence bien remplie.
Tout le monde peut décrire une coccinelle, mais qui peut dire qui elle est vraiment et ce que la nature a prévu pour elle ?
Personne... même pas elle.
Pour arriver là devant moi, il lui aura fallu passer par une complète métamorphose, un incroyable parcours personnel orchestré par la magie de la nature. Quatre étapes à surmonter : de l'œuf à la larve, puis de la nymphe à l'adulte aux allures de bouton d'or. Il lui aura fallu attendre deux jours, auprès de sa nymphe abandonnée, pour voir son apparence virer totalement du jaune au rouge, et pour apprendre à plier et déplier ses ailes trop grandes, avant de prendre son premier envol pour découvrir la vie.
Et la voilà devant moi. Immobile. Magnifique.
Instant d'enchantement.
Nous vivons tous certains passages de notre vie comme des moments d'enfer, tout comme nous sommes en capacité de percevoir les fragments d'Eden que la nature dépose tout autour de nous. Il faut juste prendre le temps de s'arrêter pour les voir et partager ces morceaux de paradis, afin qu'ils fassent partie de l'humanité qui nous entoure. Rendre notre bonheur collectif et le voir s'étendre ; c'est là l'une des premières clés qui nous a été offerte et qui est en nous.
Souris au monde et le monde te sourira en retour...
La seconde clé, c'est l'oubli. Tout comme la nature n'a pas de passé et crée chaque jour le renouveau de la vie, il faut avancer sans se retourner sur hier. Sans charger son esprit des événements terminés.
La nature ne ressasse pas ce qui n'existe plus...
Cette coccinelle s'est élancée dans la vie sans handicaper son esprit des étapes de sa métamorphose. Cela fait partie de ce qu'elle était. Aujourd'hui, elle est, tout simplement, et vit avec ce qu'elle a à sa disposition. Et demain n'est pas écrit, ni pour elle, ni pour personne.
Je m'éloigne pour rentrer, en jetant un dernier regard au ciel bleu pâle caressé de nuages de coton.
Je m'interroge : la coccinelle est-elle là pour me mettre en garde contre le fait de rester à l'abri dans ma coquille ? Après ces années solitaires, il va donc me falloir sortir, quitter cet intérieur de sécurité, ce cocon protecteur.
Il faut parfois s'autoriser à être un peu vulnérable pour que s'accomplissent les grands changements de soi, et déployer ses ailes pour vivre, tout simplement.
Nous avons tous construit notre propre masque, pièce après pièce. Nous avons appris à l'utiliser pour nous protéger ou pour avancer.
Ce printemps nous a transformés, en nous imposant un isolement social plus perturbant que le risque de tomber malade. Notre joie de vivre a été emprisonnée.
Chacun pense savoir ce par quoi nous sommes tous passés, soit en fonction de la connaissance affichée de notre vécu, soit par l'apparence du masque choisi.
D'autres imaginent, supposent, croient...
Et quand tombent les masques, beaucoup sont surpris.
La mystérieuse nature nous offre une carnavalesque existence.
Eh bien, profitons-en et faisons de notre mieux !