Les Contes de Djourah

Chapitre 11

Ozmalött s'approcha du lit où Làidir et Hôlyana dormaient paisiblement, leurs deux corps enlacés autant que leurs rêves. Il fallait qu'il fasse vite, car les trois chênes devaient lui fournir beaucoup d'énergie pour lui permettre de transférer l'essence de son âme sur Nanouvôth et lui permettre de la rendre visible et de parler avec eux.

Ainsi penché au-dessus de leur couche, son apparence éthérée lui donnait l'aspect d'un ange vaporeux prêt à faire usage de son souffle séraphique.

Ozmalött réveilla doucement Làidir, qui ne put réprimer un sursaut de surprise, réveillant par là-même sa bienaimée.

- Ozmalött ?!... Mais, que se passe-t-il ? Qu'est-ce qui vous est arrivé ?

- Làidir, j'ai peu de temps et je vais donc aller à l'essentiel. Ecoute-moi attentivement... Dans le tiroir de mon bureau, tu trouveras les notes d'études qui avaient été menées par mon père il y a bien longtemps sur les anghônariens. Si je n'en n'ai jamais parlé à quiconque, c'est que son approche n'a pas toujours été très... éthique. Il voulait démontrer que les nanouvôthiens pouvaient être... compatibles avec les anghônariens. Il a donc poussé ses recherches à l'extrême, jusqu'au cœur de leur ADN. Tu dois détruire ces notes afin qu'elles ne portent pas ombrage au futur de notre peuple.

- Quoi ? Mais...

- Làidir, j'ai rejoint les trois chênes et j'ai eu la révélation suivante : l'union des anghônariens et des nanouvôthiens conduira à la perfection de notre espèce, enfin réunie en un seul et même peuple : les Nanoughônariens. Les enfants qui naîtront de cette union seront la base de notre renouveau. Tu seras en charge de les conduire sur cette nouvelle voie.

De mon côté, je dois œuvrer à l'élaboration d'un pont entre les deux planètes. Celui-ci vous permettra de vous rapprocher plus facilement. Ayez foi en votre avenir commun.

Une dernière chose... Durant la bataille des contes de Djourah, mon grand-père a perdu la vie et mon père fut porté disparu. Il n'a jamais été retrouvé. J'aimerais que tu creuses auprès des anghônariens afin de savoir pourquoi le Commodore s'est suicidé. J'ai le sentiment qu'il y a un lien entre ces événements, mais cela reste flou.

- Ozmalött, pourrons-nous nous revoir ?

- Bien sûr Làidir. Je t'invite à me rendre visite lors de la prochaine cérémonie du cristal d'esprit. Lors de la prochaine fête du jour du Grand Equinoxe, l'ambre blanc sera particulièrement puissant, car les deux planètes seront au plus proche l'une de l'autre. Et je pense que le pont que je vais mettre en place sera terminé, ce qui renforcera le lien.

Le corps immatériel d'Ozmalött commençait à se dissoudre et à disparaître aux yeux de Làidir et d'Hôlyana.

- Soyez heureux, mes enfants.

Ozmalött disparut. Hôlyana et Làidir se serrèrent l'un contre l'autre.

- Je reviens...

- Où vas-tu ?

- Dans les appartements d'Ozmalött. Ce qu'il m'a demandé doit être fait sans attendre.

- Je t'accompagne...

Làidir et Hôlyana pénétrèrent discrètement dans les appartements d'Ozmalött. Làidir se dirigea vers le bureau, que la Lune éclairait suffisamment pour qu'il ne soit pas nécessaire d'allumer une lampe.

- Le tiroir est fermé à clé. Il va falloir le forcer...

Hôlyana se saisit d'un coupe papier et le lui tendit.

- Merci Hôlyana. Surveille la porte s'il te plaît.

Hôlyana se dirigea vers la porte et tendit l'oreille.

Làidir crocheta la serrure dans un claquement sec et finit par ouvrir le tiroir. Il en sortit une liasse de papiers qu'il commença à parcourir. Ses yeux écarquillés semblaient s'imprégner d'un poison empli de fanatisme.

- Làidir... il faut les détruire sans attendre...

- Euh... oui, bien sûr.

Làidir s'approcha de la cheminée où couvait un feu presque éteint. Il le ranima prestement du bout d'un tisonnier noirci et déformé par les cendres charbonneuses de l'enfer. Il mit le feu à une première feuille, puis à une deuxième... Il voulait s'assurer qu'il ne reste rien de ces notes. Brûlant totalement chaque page une à une, son regard se posait parfois sur des schémas et des descriptions d'expériences qui lui glaçaient le sang.

Quelques minutes plus tard, la dernière feuille fut dévorée par le feu, nourri de cette satanique aubaine. Làidir restait hypnotisé par l'âtre, dévoreur de secrets immémorés.

Le jour commençait à poindre, animant la pièce de couleurs étranges et dansantes qui ramenèrent Làidir à un peu plus de quiétude. Il avait rempli la dernière mission confiée par Ozmalött. Son vieil ami allait lui manquer.

Dans le couloir, de légers bruits de pas firent écho au silence. Hôlyana fit des signes affolés à Làidir qui sortit enfin de sa torpeur. Il fit signe à Hôlyana de le rejoindre, laquelle ne se fit pas prier.

Azmera entra dans la pièce, surprise de trouver son fils et sa compagne enlacés devant la cheminée. Làidir se retourna et reposa doucement le tisonnier.

- Bonjour maman.

- Bonjour mes enfants. Que faites-vous là de si bon matin ?

- Ozmalött m'a contacté dans un rêve. Je suis venu ranimer une dernière fois le feu dans sa cheminée pour communier avec lui. Il ne reviendra pas. Il a rejoint les esprits des anciens et m'a demandé de lui rendre visite à la prochaine cérémonie du cristal.

Azmera soupira.

- Ozmalött... il va me manquer...

- Oui, il nous manquera à tous. Mais il reste présent dans nos cœurs et pour nous aider à construire un nouvel avenir : celui du peuple Nanoughônarien.

- Nanoughônarien ?

- Oui, mère. Ozmalött nous aidera sur la voie d'une union de corps et d'esprit de nos deux peuples. Et dès à présent, je souhaite que notre nouveau nom soit proclamé.

- Parfait, répondit Azmera. Aujourd'hui, nous avons une grande fête qui nous attend. Celle de ton anniversaire. Tu pourras y faire ton annonce. Et je ferai la mienne.

Làidir sourit.

- Que souhaites-tu annoncer ?

- Quelques nominations... En attendant, nous avons encore beaucoup de choses à mettre en place et je dois réunir les magiciens de premier niveau. Je vous laisse le soin de prendre des nouvelles de la santé des blessés, notamment du père de Khal'mah.

Làidir et Hôlyana regagnèrent leur chambre pour se préparer. Azmera regarda les cendres dans l'âtre. Qu'avait bien pu y brûler Làidir ? Peu importe, elle avait entièrement confiance dans les choix de son fils. Azmera sortit et referma doucement la porte derrière elle.

Elle réunit les magiciens de premier niveau et les informa des changements à venir. Le temps était venu pour Làidir de devenir Protecteur de Djourah. Une cérémonie serait bientôt organisée en ce sens.

Il faudrait également décider de la date du mariage de Làidir et d'Hôlyana. Le jour de leur union, Azmera désignerait sa belle-fille comme nouvelle Commandante de Bhaile. Elle l'accompagnerait dans cette prise de responsabilités durant la première année, puis se retirerait dans la maison de ses parents, au sein de la forêt de l'ambre rouge, afin d'y renouer avec ses racines et se rapprocher du Pays des Monts Verdoyants qu'elle aimait tant.

Les magiciens de premier niveau approuvèrent ces décisions. Azmera les laissa délibérer sur celui qui, parmi eux, allait devenir le Premier. Sans surprise, ce fut le plus ancien d'entre eux qui fut élu. Les magiciens de premier niveau se regroupèrent autour de lui afin de tresser dans sa longue barbe les derniers cristaux d'esprit qui le désignaient désormais comme Premier.

Certes, sa barbe n'était pas aussi longue que celle d'Ozmalött, mais du haut de ses deux-cent-vingt-trois ans, son successeur imposait déjà le respect. D'ici quelques années, son regard serait totalement voilé par le cristal d'esprit et les contacts prolongés avec les patriarches.

La magie avait toujours un prix.

Sylveen S. Simon