Les Contes de Djourah

Chapitre 7

Les bataillons de prédateurs approchaient de la cité de Bhaile et commencèrent à se déployer pour encercler la ville. A quelques mètres du dernier cercle de protection érigé par les nanouvôthiens, ils étendirent leur cordon d'hommes armés. En deuxième ligne approchaient déjà les engins de siège à même de perforer les défenses, mais ce serait au prix de maints efforts, car la magie restait encore très forte autour de Bhaile. Les nanouvôthiens avaient encore quelques heures de répit devant eux. Mais elles seraient les dernières.

Ghônth'k, le chef de bataillon, faisait le tour des factions. Impitoyable, bestial et mal embouché, il était très peu apprécié des troupes mais très estimé par le Commodore. La crainte éprouvée face à cet être totalement dénué de mansuétude lui laissait donc les coudées franches. Personne n'était assez fou pour oser le défier. Aussi ne se lassait-il pas de brutaliser gratuitement à la moindre occasion, ne laissant passer aucune erreur.

Comme la totalité de sa faction, Klauth'k n'appréciait pas Ghônth'k, tout simplement parce qu'il ne comprenait pas comment cet individu aussi cruel et primitif avait pu être nommé chef de bataillon. Rien n'était plus comme avant depuis bien longtemps sur Anghônara. Jamais le peuple n'aurait dû permettre que le Commodore se détourne de la voie, ni à des barbares comme Ghônth'k d'accéder à autant de pouvoir. La force primait sur l'esprit, ce qui n'était jamais de bon augure pour l'avenir d'un peuple.

Ghônth'k s'approcha de Klauth'k en hurlant des insultes au milieu d'ordres abrupts.

- Vous n'êtes que des couards enfantés par des pleutres. Nos ennemis doivent bien rire de vous voir alignés comme des fillettes apeurées. Redressez-vous. Criez votre haine pour faire trembler les nanouvôthiens dans leurs terriers !

Soudain, sans prévenir, Ghônth'k asséna un violent coup de masse dans le dos de Klauth'k, qui, surpris, tituba en avant et tomba sur ses genoux. Sa faction s'avança pour protéger son chef et encercla Ghônth'k, qui éclata de rire.

- Et vous pensez faire quoi ? M'empêcher de rappeler à votre gentil chef les usages de la guerre ? Klauth'k, ta faction a beau avoir été la mieux notée à l'entraînement, elle n'est pour moi qu'un assemblage de pantins prêts à se faire désarticuler. Debout !

Ghônth'k voulu donner un violent coup de pied à la tête de Klauth'k qui bloqua sa botte et le fit basculer en arrière, sous les cris d'encouragement de ses hommes. En un éclair, Klauth'k avait sorti une dague, qu'il maintenait à présent posée sur la gorge de Ghônth'k. Allongé sur le dos, Ghônth'k mit à pouffer puis laissa éclater un rire gras qui résonna contre le cercle de protection, derrière lequel les nanouvôthiens les observaient.

- Tu ne fais que confirmer ce que tout le monde sait, Klauth'k. Tu n'as aucun courage. Tu ferais mieux d'échanger ta dague contre une aiguille et de rejoindre les femmes pour coudre en silence au chaud près de l'âtre.

- Contrairement à toi, Ghônth'k, je ne suis pas une bête sauvage. Mais si tu veux mourir maintenant sous ma dague, c'est tout à fait possible. Personne ne te pleurera.

Dans un brusque mouvement, Ghônth'k fit basculer Klauth'k. Les deux adversaires se faisaient à nouveau face, campés sur leurs deux jambes, prêts à bondir. Ghônth'k essuya son cou avec le dos de son gant. Une légère entaille laissait s'échapper un peu du sang bleu sombre de l'anghônarien.

Ghônth'k grogna puis s'éloigna. Quelques minutes plus tard, on l'entendait à nouveau harceler une autre faction. Klauth'k soupira. Ses hommes avaient repris leur place, en rang derrière lui. Mais il y avait dans leur regard une nouvelle détermination qui complétait la fierté envers leur chef. Un vent de rébellion semblait néanmoins prêt à souffler et n'attendait plus qu'un guide pour s'affirmer. Klauth'k en avait pris conscience et savait qu'il pouvait compter sur ses hommes, quoi qu'il arrive. De l'autre côté du cercle de protection, Azmera, Djourmagh et Djaïr observaient la scène.

- Que peuvent-ils bien attendre pour attaquer ? » se demanda à haute voix Djaïr.

- Peu importe, cela nous fait gagner un temps précieux. » lui répondit Azmera.

Hôlyana les rejoignit, accompagnée de son oncle Kourôt, qui semblait tout excité.

- Azmera ! Hôlyana et moi tenions à t'annoncer la bonne nouvelle. Le parfum créé par Hôlyana, couplé aux cristaux, semble donner d'excellents résultats. Nous en avons déposé un peu partout et il semblerait que les anghônariens soient moins prompts à la bataille.

- Nous venons en effet d'assister à une scène tout à fait étrange. Ce pourrait-il d'après-vous que des factions entières se révoltent contre leurs chefs ?

- Eh bien, certains cristaux commencent à perdre en puissance et le parfum finira par s'estomper... mais cela nous fera gagner du temps, qui permettra peut-être à Làidir de nous rejoindre.

- Oui, c'est une très bonne chose ! Le temps nous est précieux et ne joue pas en notre faveur. Je vais retourner voir Ozmalött pour savoir s'il a pu avoir de nouvelles informations quant au retour de Làidir. Soyez prudents et prévenez-moi s'il y a du mouvement du côté ennemi. Surveillez de près ces engins qui approchent. Ils ne me disent rien de bon...

Azmera rejoignit Ozmalött au moment où il sortait de ses appartements.

- Azmera, j'allais justement vous retrouver pour vous apporter la bonne nouvelle. Làidir est en route et ne saurait tarder.

Azmera poussa un soupir de soulagement. Elle prit les mains d'Ozmalött dans les siennes et le remercia chaleureusement. Au même instant, au-delà du temps et de l'espace, Làidir voyait disparaître les contours de l'environnement où il se trouvait. Il espérait avoir fait le bon choix.

Dans le même temps, à quelques centaines de mètres de la cité de Bhaile, une machine monstrueuse finissait d'être positionnée. L'attaque finale contre Bhaile allait bientôt commencer. Klauth'k et ses hommes virent la machine approcher. Non, ils ne pouvaient pas avoir osé apporter cette maudite expérience ici. Elle avait été testée à très petite échelle sur Anghônara et une région entière avait été rendue inhabitable pour des siècles, détruisant toute vie, animale comme végétale. Cette machine ne devait pas être utilisée. Nanouvôth était une planète magnifique, dotée d'une nature époustouflante, tout comme l'était Anghônara avant que le Commodore mette en place sa nouvelle politique et s'allie à des monstres comme Ghônth'k.

Klauth'k jeta un regard à sa faction. Ses hommes et lui étaient sur la même longueur d'onde. Nanouvôth ne devait pas être transformée au point de devenir comme Anghônara.

Non loin, Ghônth'k continuait d'aboyer ses ordres qui ressemblaient de plus en plus à des menaces.

— Si vous n'arrivez pas à prendre le contrôle de cette maudite cité, j'appuierai moi-même sur le bouton qui déclenchera l'apocalypse ! Cette machine ne vous laissera pas l'occasion de reculer ou d'abandonner. Soyez vainqueurs ou trépassez sur cette terre abjecte baignée de cette infâme magie !

Les chefs de factions proches de celle de Klauth'k se firent signe. Klauth'k et cinq autres chefs se réunirent discrètement pour échanger rapidement sur la situation. Ils étaient tous du même avis. Ghônth'k devait être mis hors d'état de nuire au plus vite. L'arme de destruction massive ne saurait être utilisée sur cette terre dont leur peuple espérait tant. Des champs sains à perte de vue, des rivières gorgées de poissons et un air pur vivifiant, c'est tout ce dont ils avaient besoin pour leurs familles. C'est tout ce qu'ils espéraient pour leurs enfants.

Leur seul espoir était dans la rébellion. Klauth'k leur indiqua rapidement un plan simple mais efficace. Ils seraient donc six factions à se retourner contre Ghônth'k et sa folie meurtrière. C'était peu, à peine un tiers des effectifs présents sur le terrain. Mais leur détermination était leur force. Sans compter que les six factions rebelles étaient parmi les plus efficaces. Ils avaient donc toutes leurs chances. Sans doute pourraient-ils au passage convaincre d'autres factions de les rejoindre. C'était à espérer...

Ghônth'k donna l'ordre d'attaquer. Les factions se mirent en mouvement et commencèrent à attaquer la barrière avec leurs armes de poing. A quelques centaines de mètres, des engins béliers lancés à pleine vitesse venaient exploser contre le mur, qui commençait à faiblir. Une brèche fut bientôt créée. Ghônth'k s'y précipita pour entrer avec les premières factions. C'est à cet instant que Klauth'k fit demi-tour et rejoignit les cinq autres chefs de faction. Ensemble, ils s'approchèrent de la machine infernale pour la mettre hors d'état de marche. Les quelques hommes qui l'entouraient furent vite submergés et l'abandonnèrent aux rebelles. Des câbles furent arrachés, réduisant rapidement l'arme à un tas de métal impuissant.

Klauth'k vit que la brèche s'était étendue et que Ghônth'k, accompagné de trois factions, avait commencé à répandre la mort au sein des rangs nanouvôthiens. Les six factions rebelles se précipitèrent vers la brèche et une fois à l'intérieur, contournèrent l'attaque pour s'y opposer. Au milieu des combattants se trouvaient des enchanteurs et une envoûteuse qui capta l'attention de Klauth'k. Hormis la couleur de ses cheveux, elle ressemblait trait pour trait à sa compagne. Klauth'k vit que Ghônth'k approchait. Les hommes devant lui combattaient comme des lions. Klauth'k demanda à sa section de le suivre et de faire rempart.

Kourôth voyant l'ennemi approcher cherchait désespérément à jeter des sorts de protection, mais il fut bientôt submergé. Klauth'k repoussait un à un les hommes de la faction adverse, leur hurlant d'arrêter leur attaque. Le vieil homme à terre se protégeait comme il le pouvait, étonné de voir un Prédateur prendre sa défense. Hôlyana pensa que les cristaux empreints du parfum de sa fabrication devaient être opérationnels. Mais n'était-ce que cela ? Djourmagh et Djaïr comprirent que ce Prédateur et sa faction cherchaient à protéger Hôlyana et son oncle, et vinrent les appuyer. Djourmagh et Djaïr se battaient côte à côte quand soudain, Djaïr reçut un tir dans l'épaule et tomba à terre. Klauth'k vint se battre aux côtés de Djourmagh.

La scène semblait irréelle. La bataille était sans pitié et le pire restait à venir...

Sylveen S. Simon