Erevnitis : Chapitre 3
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Le peuple silencieux
Erevnitis avait repris son voyage d'étude. Après deux jours de marche durant lesquels il avait pris soin de faire de nouvelles expériences sur la faune et la flore qu'il croisait, une nouvelle cité se dressa devant lui.
La petite ville était étrange aux yeux d'Erevnitis. Elle ressemblait à un savant assemblage de cubes posés çà et là, les uns à côté des autres, tantôt au-dessus d'autres cubes, parfois reliés par des passerelles.
Les cubes étaient recouverts de mousse et les passerelles dégoulinaient de fleurs. On eut dit que les habitants ne voulaient voir que des nuances de vert pour se confondre totalement dans leur environnement.
Erevnitis, habitué à son univers dénué de couleurs, s'émerveilla un instant devant ces myriades de nuances, qu'il ne manqua pas, bien entendu, de répertorier soigneusement, tout en se référant aux notes d'Exypnos.
Ici, un vert impérial, moins profond que le vert épinard. Là, un vert perroquet, plus lumineux qu'un vert anis. Erevnitis prenait son temps. Une trentaine de verts furent ainsi entrés dans ses bases de données : absinthe, amande, asperge, avocat, citron, émeraude, gazon, jade, lichen, lime, malachite, mélèze, menthe, mousse, olive, opaline, pin, pistache, pomme, prairie, printemps, sapin, sauge, smaragdin, tilleul, ...
Erevnitis ne voyait aucun habitant. Il trouvait étrange que la cité soit totalement déserte. Il décida de s'approcher.
Il passa sous une sorte de porche constitué d'arbres qui se penchaient pour mieux accueillir le visiteur. Erevnitis descendit l'allée bordée de fleurs. Celles-ci rivalisaient de jaunes, de rouges et d'orangers. Leurs senteurs marquaient chaque pas du visiteur, l'invitant à plonger dans un univers de paix et de sérénité.
Une petite cour lui offrit ensuite un choix s'ouvrant sur quatre portails faits de glycine, chacun tourné vers un point précis. Au-dessus de chacun d'eux était posée une pièce en bois. Au nord, la baie formait une étoile. A l'est, elle formait un soleil. Au sud, il s'agissait d'un arc-en-ciel. Et à l'ouest, on retrouvait des lignes représentant de l'eau.
Erevnitis continua son chemin droit devant lui et passa sous le portail en forme d'étoile. Une première passerelle lui fit traverser un petit cours d'eau qui semblait chanter une mélodie cristalline. Enfin, il arriva devant plusieurs cubes. Il nota que ceux-ci étaient parfaitement réalisés et que seuls quelques interstices venaient fendre intelligemment la réalisation, sans doute pour laisser l'air circuler et la lumière entrer.
Depuis quelques instants, Erevnitis se sentait observé. Il se concentra sur son environnement et commença à repérer les habitants. Ceux-ci étaient tapis dans l'herbe, leurs corps se confondant avec celle-ci. Seuls leurs grands yeux, variant de noisette à brun, trahissaient leur présence, à condition de les croiser. D'autres avaient préféré se coucher en hauteur sur des branches, totalement invisibles grâce à leur technique de camouflage.
D'observé, Erevnitis devint l'observateur. Il ne bougeait pas, ce qui sembla mettre en confiance les habitants qui bientôt décidèrent de s'approcher de lui.
Tels des caméléons, ils avancèrent doucement. Leurs corps, leurs visages, leurs cheveux étaient recouverts d'une sorte de pâte colorée tantôt verte, tantôt brune.
Totalement silencieux, ils entourèrent bientôt le visiteur. Erevnitis s'assit en tailleur et attendit. Au bout de quelques minutes, l'ensemble du groupe caméléon fit de même, dans un seul et même mouvement d'unité.
L'un d'eux se leva et agita un bâton, dessinant dans l'air les lettres d'un langage que lui seul comprenait. C'était Rhâb, l'enchanteur et sourcier du village. Le regard concentré sur le visiteur, Rhâb se figea, genoux pliés, il tendit ses bras devant lui et mit son bâton à l'horizontale face à lui. Rhâb ferma les yeux puis lâcha le bâton. Celui-ci resta suspendu dans l'air. Erevnitis observait toujours. Lorsqu'il se leva, le bâton tomba à terre. Rhâb rouvrit les yeux. La sérénité qui coulait dans son regard fit place à la terreur. Il referma les yeux pour se ressaisir.
Rhâb ramassa son bâton et le fit tournoyer entre ses doigts et ses mains à une vitesse impressionnante. Le bâton ne fut bientôt plus discernable dans sa forme tant sa course était rapide. D'un seul mouvement, les habitants se levèrent et bondirent en tous sens, laissant en quelques secondes la place totalement vide.
Concentré sur le bâton, Erevnitis fut surpris et tandis qu'il regardait dans toutes les directions pour voir où les habitants s'étaient cachés, Rhâb disparut à son tour. Erevnitis sentit la frustration monter en lui, jusqu'à l'envahir de colère. Il aurait aimé pouvoir étudier dans le détail ce peuple étrange auréolé de magie. Il reviendrait...
Erevnitis rebroussa chemin jusqu'à la cour et s'engagea sous le portail flanqué d'un soleil. L'allée semblait s'enfoncer dans une vallée dont le sol ocre-rouge collait aux pieds des visiteurs. Plus Erevnitis avançait, plus les bords du chemin remontaient en talus de plus en plus hauts. Bientôt, il se retrouva entre deux falaises, tours de Babel dont on ne pouvait distinguer le sommet, perdu dans les nuages cotonneux. La poussière du chemin l'avait recouvert jusqu'aux cuisses, lui donnant une singulière apparence. Il s'arrêta un instant pour étudier la roche environnante.
L'une des spécificités des planètes de la galaxie d'Andromède était la présence de Prométhium en plus grande quantité qu'ailleurs. Et l'étude des Lanthanides intéressait au plus haut point Erevnitis qui était notamment fasciné par les supraconducteurs. Il avait d'ailleurs prévu de pousser ses expériences jusqu'au cœur de la planète.
Sa base de travail était partie du tableau périodique des éléments qu'Exypnos avait étudié sur Terre. Il n'était composé que de 118 éléments et Erevnitis avait bien l'intention de l'agrandir. Malheureusement pour Mitéra, elle semblait être la parfaite planète pour mener les folles expériences d'Erevnitis.
Depuis le haut de la falaise, Rhâb observait Erevnitis. Il avait senti la noirceur qui émanait de lui et le danger que représentait ce visiteur venu d'ailleurs. Rhâb s'assit en tailleur et tourna son esprit vers les étoiles.
Pour l'aider à entrer en communication avec l'esprit du Grand Tout, il mâchouillait depuis quelques minutes une plante que lui seul avait le droit de cueillir. Rhâb respirait doucement. Son esprit commença à se confondre avec les nuages.
Son âme tourbillonna au cœur de son être. Quelques heures plus tard qui ne lui avaient semblé être que de frêles minutes sur le souffle de sa vie, Rhâb entra enfin en communication avec le Grand Tout.
Le Premier Créateur apparut à Rhâb sous la forme d'Ouranos. Rhâb accueillit l'enfant-esprit et lui communiqua son tourment.
- « Grand Tout, un immense danger menace Mitéra et toute la vie qu'elle abrite risque de disparaître dans un grand chaos... »
- « Rhâb, j'ai senti ton profond désarroi, toi qui es la clé de tous les mystères pour ton peuple. En quoi puis-je t'aider ? »
- « Grant Tout, merci pour ton écoute. Un visiteur qui n'est pas Mitérien est apparu aujourd'hui dans notre village. Il est ici pour chercher, non pas pour apprendre mais pour modifier, défaire, et détruire. Son impact est déjà très fort sur le Grand Equilibre. La cité de Klaros a pleuré dans la nuit. Mitéra a été souillée et ses enfants meurtris. »
- « Rhâb, je vois par tes yeux et ressens par ton cœur. Je connais ce visiteur. Il est en effet au début d'une quête étrange, mais il est seul et ne souhaite pas être guidé. J'ai peut-être un moyen de le ramener sur un meilleur chemin mais il risque malheureusement de continuer à faire de grands dégâts dans les jours qui viennent. »
- « Grand Tout, pourquoi n'agis-tu pas immédiatement ? Ne peux-tu le conduire loin de Mitéra en cet instant ? »
- « Un seul être a la capacité d'arrêter ce visiteur : Exypnos. Je vais le contacter afin qu'il puisse intervenir au plus vite. »
- « Merci Grand Tout. Que puis-je faire en attendant pour aider Mitéra et ses enfants ? »
- « Cache les du mieux que tu peux et fais passer le message aux Mitériens éloignés de ton village, pour que tous soient sur leurs gardes. Les expériences du visiteur risquent de prendre des formes inattendues fort désagréables. Il convient de l'éviter à tout prix et de ne pas croiser son chemin autant que faire se peut. »
- « Grand Tout, ce visiteur est sans pitié, aucune mansuétude dans son cœur, aucune indulgence ni bienveillance dans son âme. Il est l'effroi personnifié pour tous les enfants de Mitéra. »
Ouranos soupira.
- « Je sais Rhâb... je sais. Exypnos et moi reprendrons contact avec toi. Sois très prudent mon ami. Voici de quoi faire disparaître ton village aux yeux du visiteur. Je te dis à très vite... »
- « Merci Grand Tout. Que la sérénité trace ton chemin. »
Rhâb ouvrit
les yeux.
Le soleil allait bientôt illuminer de sa clarté les environs.
Il retourna au village et réunit les siens qui tous s'agenouillèrent en cercles concentriques autour de lui. D'un coup aussi puissant que la foudre, il planta son bâton au cœur du village. Le sol trembla. Le peuple silencieux frémit, chacun masquant son visage de ses mains. L'environnement protecteur remis par Ouranos venait d'être déployé par Rhâb. Le village, protégé par cette bulle céleste, venait de disparaitre du paysage.
Rhâb fit venir à lui des dizaines d'Orioles. Ces messagers ailés au ventre roux flamboyant, qui rivalisaient avec le soleil au travers des branchages, allaient prévenir les villages environnants du danger qui les menaçait. Une fois les messagers parvenus et l'information délivrée, les autres villages feraient de même avec leurs propres messagers. Ainsi, tous les sourciers de Mitéra mettraient à l'abri du mieux qu'ils pourraient les enfants de Mitéra.
A quelques centaines de kilomètres de là, Erevnitis arrivait au bout du canyon. Le soleil se levait entre les deux falaises, formant un œil qui scrutait son arrivée. Une étendue désertique l'accueillit. Le vent soufflait sur les dunes rougeoyantes, laissant s'envoler quelques grains de sable en petits tourbillons.
Erevnitis ressentit une faible secousse. L'espace d'un instant, la terre avait légèrement tremblé. Erevnitis s'avança sur l'étendue de sable. Ses pas étaient lourdement ralentis, son corps massif s'enfonçant jusqu'aux genoux dans ce fin gravier mouvant.
Soudain, il fut happé par les sables mouvants. Imperturbable, Erevnitis regarda son corps s'enfoncer. Sa bouche et son nez s'emplirent de sable. Ses yeux regardèrent une dernière fois l'horizon puis il s'enfonça plus profondément dans Mitéra.