Erevnitis : Chapitre 5

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Perversion

Le combat durait depuis des heures. Erevnitis essayait d'atteindre Exypnos de maintes façons, mais Exypnos évitait chaque attaque, repoussait chaque assaut. Erevnitis apparaissait aux yeux d'Exypnos comme un adolescent qui veut provoquer en duel un chevalier expérimenté.

Il fallait reconnaître néanmoins que R.E.S.E.T. avait extrêmement bien travaillé pour mettre au point une telle créature. A ce niveau-là, Exypnos ne pouvait cependant pas lui accorder la moindre qualité en dehors d'un acharnement à progresser toujours plus, et malheureusement au-delà de l'entendement puisqu'au détriment de ce qu'Exypnos préservait à tout prix.

Soudain, Erevnitis s'arrêta. Il posa un genou à terre et baissa la tête vers le sol.
Il semblait se concentrer. Exypnos ne voyait plus son visage.
- « Erevnitis, il est encore temps de faire chemin arrière. Laisse-moi t'aider et te guider. Je... »

Erevnitis se releva. Un large sourire barrait son visage. Ses yeux renvoyaient une lueur démoniaque. Exypnos resta interloqué durant quelques secondes par ce qu'il voyait. Erevnitis avait pris son apparence.

- « Erevnitis, arrête de faire n'importe quoi. Tout cela devient ridicule ! »

- « Exypnos, je fais partie de toi. Rappelle-toi : tu ne peux pas me tuer. Je suis bien meilleur que toi de toute façon. Meilleur que tout ce que tu as pu être. Toutes tes régénérations ne t'ont pas rendu plus fort. Elles t'ont juste ramené à ton état initial. Moi j'ai évolué ! Et contrairement à toi, je ne m'embarrasse pas de pitié, ce qui te rend bien plus faible que moi. »

- « Tu ne gagneras rien en t'obstinant ainsi R.E.S.E.T. »

- « Je suis Erevnitis ! »

Fou de rage d'être à nouveau appelé ainsi, Erevnitis poussa un grognement inhumain et se jeta une nouvelle fois sur Exypnos, qui fut projeté contre la paroi de la grotte. Erevnitis essayait de se glisser dans Exypnos pour investir son corps, assiéger chacune de ses cellules et les faire imploser. Exypnos luttait de toutes ses forces pour le repousser. Il commençait à ressentir quelques légers signes de fatigue, essentiellement liée à l'impuissance à laquelle il devait faire face.

Exypnos bataillait contre les coups et les assauts d'Erevnitis, repoussant ses tentatives d'invasion. Mais il ne cherchait pas à le détruire vraiment, car il pensait encore pouvoir le ramener sur une meilleure voie. C'était là son erreur. Et il risquait de la payer très cher.

Malgré la violence du combat, Erevnitis ne semblait pas développer la moindre faiblesse. Il était donc temps de passer aux grands moyens et de faire confiance à Ouranos.
Exypnos modifia la structure de son bras droit qui, devenu lance, transperça Erevnitis de part en part.
Erevnitis continuait à vouloir prendre possession du corps d'Exypnos et ne lâchait rien.
Tandis qu'Exypnos le maintenait de son bras gauche, il recommença, encore et encore, à poignarder Erevnitis, modifiant au fur et à mesure la forme de son arme pour faire de plus en plus de dégâts à chaque impact.

Erevnitis commença à faiblir et finit par s'écrouler.

Levant une main suppliante vers Exypnos, Erevnitis prit cette fois l'apparence et la voix de Flora.

- « Je t'en supplie Exypnos, épargne-moi ! Tu dois comprendre l'importance de mes expériences. Elles sont primordiales pour mon évolution et celle de l'univers ! Mes recherches sont le chaos nécessaire à l'ordre nouveau qui en naîtra ! »

Exypnos resta imperturbable. Il voyait et entendait Flora et cela lui faisait plus mal que les coups portés avec force qu'il avait reçus. Mais il savait que ce n'était pas vraiment elle et se faisait violence intérieurement pour ne pas basculer dans la folie où Erevnitis voulait l'entraîner.

- « Erevnitis, tu pourras prendre toutes les formes que tu voudras, tu ne m'atteindras pas. Tu n'arriveras pas à me corrompre. Tu n'es pas Flora et tu ne seras jamais moi. Paraître n'est pas être... Tes expériences sont dénuées d'humanité car tu n'as pas compris son importance. La valeur de la vie est la pièce qu'il te manque pour arriver à mon niveau. »

Exypnos s'arrêta un instant, songeur. Il doutait au fond de lui que la seule pièce qui manquait à Erevnitis soit celle-ci. C'était comme si l'équation était à demi effacée. Mais il n'arrivait pas à se souvenir de quoi il s'agissait.

- « Mais si tu me tues, tu mourras aussi Exypnos ! Es-tu prêt à tout sacrifier pour cet univers sordide ? »

- « Contrairement à toi, oui. Je ne peux pas te laisser continuer Erevnitis. Je dois te détruire pour t'arrêter. Et si cela signifie ma fin, je suis prêt. »

- « Exypnos, ensemble, nous pourrions tout restructurer. Nous pourrions reprendre les travaux de Lucifer et... »

Exypnos se concentrait et n'écoutait plus les folles élucubrations de cette fausse Flora. Il laissa ainsi Erevnitis divaguer et se perdre dans son délire, tandis qu'il modifiait son corps pour en finir avec lui.

De ses mains levées sortirent des flammes. Dans ses veines coulait une lave incandescente. Son cœur s'embrasa. Ses yeux devinrent braises, puis ils lancèrent sur Erevnitis deux faisceaux qui l'irradièrent en quelques secondes.

Exypnos modula l'environnement de la caverne pour qu'un tourbillon d'eau et d'air conserve Erevnitis emprisonné dans cet espace restreint. Erevnitis hurlait et se débattait au milieu de ce chaos. Il n'arrivait plus à conserver l'aspect de Flora, ni même à reprendre le sien. A force de vouloir se transformer, il ne ressemblait plus à rien d'autre qu'à un magma immonde qui commençait à se répandre.

De plus en plus concentré, Exypnos puisa ses dernières forces pour transformer Erevnitis en une sorte de grosse roche rouge et noire.

Une fois cette phase achevée, Exypnos déclencha une onde qui pulvérisa Erevnitis en plusieurs milliards de petits grains de sable.

Un silence douloureux s'installa. C'était fini.
Durant quelques instants, Exypnos se sentit abruti par cette sérénité soudaine.
Puis il se détendit. Il était toujours vivant !
La barrière créée par Erevnitis avait également disparu, libérant le cœur de la planète.
Il avait réussi. Erevnitis n'était plus...

Exypnos se concentra sur Mitéra.
Il ressentit de la reconnaissance.
Mais quelque chose clochait...
Mitéra tressaillit.

Exypnos cherchait comment l'aider. Il parcourut durant de longues heures le dédale de tunnels créés par Erevnitis et finit par tomber sur le problème. Quelques parois étaient toujours recouvertes de cette gangrène immonde qui continuait de progresser. Exypnos n'arrivait pas à l'éliminer totalement. Elle réapparaissait toujours à un autre endroit que celui où il l'avait éliminée. C'était sans fin.

Exypnos était épuisé. Il comprit que malgré ce qu'il avait infligé à Erevnitis, celui-ci s'était arrangé pour qu'une partie de lui-même s'intègre à son œuvre.

Exypnos sentit le désespoir de Mitéra.

Il fallait sauver ses enfants...

Résigné, Exypnos fournit un dernier effort pour s'extraire du cœur de Mitéra et jaillit à la surface de la planète, tel un geyser retrouvant la liberté. La gangrène ressemblait ici à du goudron qui s'écoulait doucement, recouvrant et détruisant irrémédiablement tout sur son passage. Étouffant les rivières, écrasant les plantes, la gangrène recouvrirait rapidement l'ensemble de la planète. Mais comment l'y contenir ?

Ouranos contacta Exypnos.

- « Exypnos, il faut faire vite ! Il y a une île située à l'ouest que nous pouvons encore sauver. Je m'occupe de créer une bulle de protection tout autour d'elle. Cela préservera tout ce qui s'y trouve. Pendant ce temps, commence à remonter vers l'espace l'autre bulle que j'avais déjà créée pour protéger la vallée du peuple silencieux. Je te rejoindrai et nous mettrons les deux bulles à l'abri. »

- « Très bien Ouranos. Une fois que les deux bulles seront suffisamment loin pour ne pas être impactées, je reviendrai pour détruire ce qu'il reste de Mitéra. Malheureusement, la planète ne pourra pas être sauvée. Erevnitis est en train de l'assimiler. Nous n'avons pas le choix. »

Ouranos semblait désolé mais continuait de sourire.

- « Je sais Exypnos. Tout va bien se passer. Allons-y ».

Ouranos et Exypnos se dirigèrent tous les deux vers l'espace, chacun guidant avec précision et délicatesse une bulle vers une zone éloignée du danger, suffisamment loin de cet endroit où tout allait bientôt être pulvérisé.

Exypnos s'arrêta, laissant le soin à Ouranos de protéger les deux bulles au sein d'une singularité qu'il créa en quelques instants, puis il retourna vers Mitéra.

Les habitants des deux bulles, totalement impuissants, allaient assister à la fin de Mitéra. Beaucoup pleuraient. D'autres chantaient en son honneur. D'autres enfin restaient à genoux, murés dans une contemplation désespérée, leurs yeux perdus dans le Grand Tout.

Ouranos ne pouvait rien faire de plus. Il savait que rien n'apaiserait leur tristesse. C'était un déchirement de voir ces êtres merveilleux dans un tel état, réduits à la plus simple expression de la survie, dans un total renoncement.

Exypnos traversa le voile de la deuxième singularité qu'Ouranos avait déployée autour de Mitéra, tel un linceul, puis il se mit à tourner en orbite autour de la planète, modifiant à chaque rotation ses molécules.

Mitéra se retrouva bientôt entourée d'une spirale qui commença à l'enserrer, tel un boa constrictor enroulé autour d'un arbre.

Ouranos et les mitériens derrière lui regardèrent exploser Mitéra. Une onde puissante, modérée par la singularité, se propagea au ralenti dans l'espace, expulsant des tonnes de particules dans toutes les directions.

Parmi elles, Exypnos dérivait en une pluie d'atomes qui firent briller les étoiles. A des milliards d'années-lumière de là, des larmes roulèrent sur les joues de Flora.

Observant la scène qui se déroulait tout en protégeant les deux bulles, Ouranos souriait toujours.