Textes poétiques
Erina
Erina avançait doucement dans la nuit.
Elle avait beau humer l'air, aucune odeur ne lui parvenait. Aucun son non plus.
La nuit était paisible. Seule l'odeur de l'humus lui chatouillait les narines.
Elle était persuadée d'avoir entendu du bruit pourtant. Il est vrai qu'elle se
réveillait de sa sieste et avait tout à fait pu rêver.
Erina arriva au croisement du chemin qui menait vers la famille Blaireau. Celle-ci avait élu domicile aux abords de la haie du chêne vert. Elle huma une nouvelle fois l'air. Rien. Etrange.
Prudemment, Erina prit le chemin de gauche qui descendait vers la rivière. Elle entendait au loin un hibou grand-duc. Ah, celui-ci, il avait le don de l'agacer. Combien de fois, par sa faute, n'avait-elle pas atteint ses 18 heures de sommeil quotidien !
Elle arriva enfin au fossé qui bordait la rivière. Elle se trouvait en très grande forme pour ses deux ans. Elle avait parcouru les trois derniers mètres en à peine une minute et se sentait prête à piquer un sprint à tout moment pour se mettre à l'abri.
Erina longea le fossé, où elle finit par tomber sur César. Depuis qu'avril avait montré le bout de son nez, il n'arrêtait pas de lui envoyer ses phéromones et d'uriner sur son passage. Du coup, elle n'avait plus que lui en tête.
Elle lui sourit, découvrant ainsi ses trente-six dents impeccables. César lui répondit d'un clappement de langue amical. Erina ajusta sa robe aux poils blancs soyeux et aux épines beige clair qui lui donnaient l'air d'une princesse. Puis elle lissa ses longues épines de près de trois cm dont elle prenait grand soin, tout en admirant sous tous les angles du coin de l'œil son futur partenaire. Le beau César avait des poils couleur chamois et ses magnifiques yeux noirs qui brillaient dans la nuit faisaient tomber Erina en pamoison. Avec ses vingt-sept centimètres et sa queue qui devait atteindre les trente millimètres, Erina se sentait tout émoustillée. A moins que ce ne soit l'odeur des phéromones qui commençaient à lui tourner la tête.
Sacré César, pour ses trois ans, il tenait une super forme ! Ils copulèrent ainsi joyeusement, sans se préoccuper le moins du monde du renard roux qui passait non loin de là, toujours à fouiner du côté du poulailler du coin.
Plusieurs minutes plus tard, César urina une dernière fois, gratifiant au passage la robe d'Erina de son odeur. Puis il disparut dans la nuit. Erina rentra alors seule jusqu'à son abri, encore incroyablement excitée par son aventure.
Elle avait aménagé une ancienne rabouillère de lapin qui lui tenait lieu de parfait petit nid. Trente-quatre jours plus tard, sa gestation prit fin. Erina mis au monde cinq petits, qu'elle nourrirait sans problème grâce à ses dix mamelles bien pleines. Son abri était en effet idéalement situé et lui procurait chaque jour toute la nourriture dont ils auraient besoin.
Bien loin de là, Francis fit monter toute sa petite famille dans la voiture. Le départ pour les vacances mettait tout le monde sur les nerfs. Francis refit le tour de la maison. Rien ne clochait. Ils pouvaient partir. Il referma le portail et se mit au volant.
Avant de rejoindre l'autoroute qui les mènerait à la mer, il devait conduire au travers de la campagne. La route était sinueuse mais il la connaissait par cœur. Par conséquent, elle ne lui faisait pas peur. Tout le monde commençait à se détendre dans le véhicule. La musique s'envolait par les fenêtres. Les enfants s'occupaient à l'arrière avec des jeux simples mais suffisamment efficaces pour capter leur attention et les garder calmes, car la route serait longue.
Trente-six heures après leur naissance, les petits d'Erina avaient pris une couleur plus sombre, leurs petits piquants encore mous marquaient par leur blancheur la pointe de leur robe. Elle leur chantait souvent sa chanson préférée : petite hérissonne polissonne, ce qui leur faisait pousser de petits cris joyeux. Ces vocalisations leur permettraient, une fois dehors, de communiquer en complément des marques olfactives qu'ils laisseraient sur leur passage à l'intention de leurs congénères.
Trois semaines s'écoulèrent ainsi, les amenant à leur première sortie tous ensemble. Erina leur fit faire leurs premières promenades nocturnes. Ses cinq petits la suivaient en file indienne pour apprendre à reconnaître les invertébrés comestibles.
Chaque matin, ils retournaient au nid pour s'y nourrir du lait maternel, car Erina ne les allaitait jamais à l'extérieur.
Enfin vint le temps de fêter leur anniversaire : deux mois déjà ! Les jeunes, totalement indépendants et instruits par leur mère de tout ce qu'il leur fallait savoir, allaient bientôt quitter définitivement le nid pour vivre leur vie de hérisson. Trois d'entre eux ne dépasseraient pas l'âge d'un an ; les deux autres auront de bonnes chances de survivre 4 à 5 ans.
Douze heures plus tard, la nuit tombait. Francis et sa petite famille étaient presque arrivés à destination. Ils avaient perdu beaucoup de temps car les enfants réclamaient sans cesse des pauses et n'arrivaient plus à quitter les aires de jeux de l'autoroute.
Francis se fit encore plus prudent et roulait un peu en dessous de la limitation de vitesse. Sa femme avait conduit une partie de la route, mais elle ne se sentait plus suffisamment en forme pour attaquer les derniers kilomètres, de nuit, dans un environnement qu'elle ne connaissait pas.
Soudain, dans un virage, ses phares éclairèrent une famille de hérissons. Ils traversaient la route à la queue-leu-leu. Il freina brutalement et fit une légère embardée qui fit crier tout le monde. L'écart lui avait permis de rester sur la route, déserte à cette heure, tout en évitant ces promeneurs imprudents. Il ralentit encore et, soulagé, il vit dans son rétro que la petite famille était toujours en vie et qu'elle atteignait saine et sauve le fossé.
Tout le monde poussa un grand soupir de soulagement. Ils arrivèrent enfin sur leur lieu de vacances. Les enfants demandèrent s'ils pourraient retourner voir des hérissons. Francis promit que oui et sa femme lui sourit.
Après un dernier baiser sur le front, les enfants s'endormirent. Ils rêvaient qu'ils parlaient avec des hérissons et faisaient la course avec eux.
Non loin de là, une petite hérissonne rentrait dans son abri, suivie de tous ses petits. Ils avaient appris une nouvelle chose aujourd'hui. Ne pas se laisser tenter par ce revêtement doux et chaud qui leur permettait de gagner du temps. Ils ne voulaient pas faire le détour par le petit tunnel qui leur faisait si peur, mais qui était parfaitement protégé et leur évitait ce genre de risques inutiles. La leçon était apprise et retenue.
Ainsi vécurent Erina, César, leurs enfants, et les enfants de leurs enfants.
Sylveen S.
Simon - Histoires d'été - Les hérissons
(Août
2019)
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