Exypnos : chapitre 1
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Palingénésie
C'était pour moi un éternel retour, l'expression d'une énième vie.
Et tout recommençait...
Peu importait ma forme ou mon âge en cet instant, je renaissais.
Cette fois, j'étais humaine. Brune, de taille moyenne, des yeux couleur noisette avec de petites touches de vert et de jaune parsemées telles de petites tâches d'aquarelle. Affublée d'une chevelure qui me faisait étrangement penser à un porc-épic, j'étais bien décidée à profiter pleinement cette fois de cette enveloppe pour aller au bout de mon projet.
Je touchais presque au but la dernière fois...
Tout comme je le faisais déjà depuis quelques mois, je me dirigeai comme chaque jour de la semaine vers le laboratoire. Je pris mon air « sûre de moi », histoire que personne ne se mette en travers de ma route.
Jeune femme pétillante flanquée d'un caractère indépendant, j'attirais souvent certains phénomènes de la gente masculine, qui s'imaginaient sans doute pouvoir me dompter. Beaucoup cherchaient à me séduire, ce qui n'était pas pour me déplaire au fond. Je souris intérieurement. S'ils savaient, ils ne s'approcheraient pas si près...
J'entrai dans le hall. Tandis que je lançais un joyeux « bonjour » aux hôtes d'accueil, je badgeai pour franchir le premier portique de sécurité. Devant moi s'étalait une série de 10 ascenseurs d'où entraient et sortaient des dizaines de personnes, telles des fourmis affairées.
Je pris l'ascenseur du fond, réservé aux ingénieurs du RFST, le laboratoire ultra-sécurisé auquel j'appartenais. Laboratoire dédié, comme son acronyme l'indiquait, à la Recherche de Failles Spatio-Temporelles. Tout un programme !
Je franchis ensuite les trois autres seuils de sécurité : le premier scanna mes empreintes digitales et mon iris. Le deuxième réclama mon code personnel que je devais saisir sur un petit clavier sécurisé qui s'effaçait à chaque passage. Quant au troisième, il me préleva un échantillon de salive. Malgré tous ces niveaux de sécurité, j'arrivai devant les deux Cerbères qui gardaient la dernière porte ...
- « Bonjour, déclinez votre identité. » me dit le premier gardien.
- « Sylveen Lightwood », répondis-je dans un soupir.
- « Matricule ? » m'interrogea le second gardien, les yeux rivés sur son terminal.
- « Pffffttt ... 001.357.642 ». Les yeux au plafond, j'attendis la fin du contrôle.
- « Parfait, vous êtes autorisée à entrer. »
- « Merci ! ».
Tout en leur jetant un regard en coin, je m'avançai vers la porte, qui s'ouvrit automatiquement. « Calme-toi Sylveen » me disait une petite voix dans ma tête. « Ils ne font que leur travail ». Oui, ça je sais bien ! Mais tous ces contrôles me plongeaient systématiquement dans une lassitude sans nom.
J'entrai enfin dans le RFST...
L'atmosphère était du genre aseptisée, mais cela me plaisait bien d'être là.
Impatiente, je me dirigeais vers mon pôle lorsque la Directrice de Recherche m'arrêta.
- « Bonjour Sylveen, comment vas-tu ce matin ? »
- « Bonjour Flora, je vais très bien, comme toujours. » répondis-je avec un grand sourire. « Et vous ? »
- « Ma foi, ça va plutôt bien ! » me répondit-elle.
Elle avait l'air de quelqu'un qui contient son excitation. Intriguée, je lui demandai : « Vous avez les yeux qui pétillent... auriez-vous fait une découverte particulière ? ».
- « Oh, non, rien de précis. Mais, je suis néanmoins sur une bonne piste. Suis-moi, je vais te montrer ... » me dit-elle d'un air malicieux.
Je la suivis jusqu'à son bureau. Situé au centre du laboratoire, celui-ci ressemblait à un énorme octogone de glace. Une fois à l'intérieur, elle referma la porte et rendit les murs de verre totalement opaques. Nous étions totalement isolées du reste du laboratoire. Aucun son ne pouvait entrer ni sortir. Nous étions libres de parler et d'y faire ce que bon nous semble.
Flora se retourna vers moi. Elle prit mon visage entre ses mains et m'embrassa. Ses lèvres étaient douces et chaudes. Son parfum délicat enivrait mes sens. Je sentis immédiatement l'excitation m'envahir. Il n'y avait qu'elle pour me faire cet effet-là. En sa présence, je perdais tous mes moyens. Elle me prit la main et appuya sur un bouton de sa télécommande. Un lit de fortune sortit, tel un tiroir, de l'espace cubique situé au centre. Son matelas d'eau remuait doucement, nous invitant à la relaxation.
- « Flora ... vous êtes sûre de vouloir faire ça maintenant ? ».
- « Oh oui ! » me répondit-elle avec sa voix suave. « Et arrête de me vouvoyer s'il te plait, j'ai l'impression d'avoir 10 ans de plus que toi ! ».
Tandis que j'éclatais de rire, elle commença à retirer ses escarpins. Je fis de même. Allongées sur ce petit lit qui nous berçait au moindre mouvement, nous nous faisions face, son front contre le mien. Son regard m'hypnotisait. Elle commença à défaire chaque bouton de mon chemisier, promenant sa langue sur ses lèvres.
- « Tu ressembles à une panthère qui vient de capturer sa proie ! »
Tandis que je prononçais ces mots, elle retira mon pantalon et commença à promener ses mains le long de mes jambes. Ses caresses étaient un délice et mon excitation continuait à grandir. J'avais soudain très envie qu'elle m'embrasse partout. Elle finit par dégrafer mon soutien-gorge pour lécher mes seins. À son contact, mes tétons se raidirent et renvoyèrent une onde d'excitation à tout mon corps.
- « Tu frissonnes... Veux-tu que je monte le chauffage ? » me dit-elle doucement.
- « Non, pas la peine ... continue. »
- « Je t'aime. » me répondit-elle dans un souffle.
J'étais nue et me laissai aller à cette vague d'amour qui me submergea totalement.
J'entrepris de la déshabiller à mon tour. Embrassant son ventre, je l'admirai un instant. Sa peau sombre était magnifique. Ses grands yeux verts me guettaient et un large sourire fendait son visage. J'étais en admiration totale : « Un vrai corps de panthère noire ... Tu es si belle ... ».
Son rire cristallin raisonna dans la pièce.
Cet instant d'amour hors du temps activa un marqueur dans un coin de mon cerveau. Je ne me rappelais pas avoir jamais connu une telle volupté dans l'acte d'amour. C'est la première fois que je ressentais autant de choses. Nous étions à la fois si différentes et si identiques. Son contact me troublait et mettait la pagaille dans tous mes sens. Je perdais toute notion du temps et de l'espace. Nous mêlions nos différences pour faire un tout unique. Sa peau noire contrastait avec ma peau d'un blanc presque laiteux. Son regard boisé illuminait les quelques points verts de mes yeux. Sa chevelure de lionne cascadait sur ses épaules. Ses petits seins à l'aréole si sombre faisaient face à ma lourde poitrine blanche et ronde, qu'elle caressait doucement. Quelques tâches pigmentaires dessinaient une petite voie lactée sur son dos. Ses fesses rebondies et ses cuisses musclées représentaient à mes yeux la perfection.
- « Tu m'aimes ? » me demanda-t-elle.
- « Tu en doutes encore ? ». Je la fixais intensément et sentis une dernière vague de plaisir me libérer totalement. En pleine jouissance, nous poussions toutes les deux de petits cris mêlés de rires et de respirations saccadées.
- « Continue... oui... je t'aime. »
J'avais toujours eu du mal à dire ces mots. Je t'aime. Cela sonnait creux en moi, jusqu'à ce que Flora m'en fasse comprendre le vrai sens. Celui du plaisir profond. De l'amour vrai. Pur. Intense.
Le temps n'avait pas d'importance pour nous. Aussi, nous nous laissâmes aller à notre plaisir sans nous préoccuper le moins du monde du déroulement de cette journée. Suspendues hors du temps, nous redescendîmes doucement vers la réalité.
- « Reprenons le cours de notre vie, jeune fille. »
Je souris. Elle m'appelait souvent comme ça, même si quatre ans seulement nous séparaient. Elle était la plus âgée mais à mes yeux, elle paraissait plus jeune que moi. Un jour, il faudra que je lui dise ...
Mais pas maintenant. J'aimais trop cette vie et comptais bien en profiter encore un bon moment ! Après tout, j'avais tout le temps ...
- « Oui Flora, tu as raison. Retournons à nos recherches. ».
De sa télécommande, elle rangea le lit-tiroir qui ondula un instant, comme pour nous dire à bientôt. Elle jeta un regard circulaire à la pièce pour vérifier que tout était en ordre, puis appuya sur le bouton qui rendit sa transparence à la paroi de l'octogone.
L'air taquin, je sortis et lui dis : « J'étais donc ta bonne piste de ce matin... ».
Avec un grand sourire, elle me répondit doucement : « Elle était vraiment très bonne cette piste... et j'espère bien pouvoir la reprendre très bientôt... ».
Je souris. Intérieurement, je l'espérais aussi.
Arrivée devant mon pôle de recherche, je repris le cours de mes expériences. Mes dernières découvertes étaient encourageantes. Il me manquait encore un élément pour faire fonctionner mon vortex, mais je sentais que je touchais au but. La convergence des faisceaux n'était déjà plus un problème. Ma seule crainte était de perdre Flora. Car si j'avais vu juste, je risquais bientôt de disparaître au propre comme au figuré et de ne jamais pouvoir revenir ici et maintenant.
Une autre question taraudait mon esprit. Que faire de mes notes ?
« Ne les laisse pas » disait la petite voix dans ma tête. « Tes imbéciles de collègues n'y comprendront rien ou pire, ils s'en serviront pour faire n'importe quoi ! ».
Mes collègues étaient loin d'être des imbéciles. Je les aimais bien d'ailleurs. Nous avions juste une divergence d'opinion assez régulière, mais ils me faisaient rire assez souvent. Je ne pouvais pas les blâmer après-tout.
Allez, au travail ! Avec un peu de chance, d'ici quelques jours, j'annoncerai ma découverte à Flora. Mon rêve est que nous réussissions ensemble, toutes les deux, à actionner le premier portail et que nous le traversions main dans la main. En espérant que mon don ne vienne pas polluer mon expérience...
Comprendre, par une sorte de ressenti intérieur, chaque chose de mon environnement est en effet un fardeau souvent bien lourd à porter au quotidien et c'est loin d'être un don à mes yeux.
Ça peut être cette plante à qui je parle sans lui adresser de mots et qui m'envoie un message pour me réclamer de l'eau ou plus de lumière. Ou cet oiseau sur lequel je me retourne, qui a besoin d'un peu de nourriture pour passer l'hiver et à qui je laisse quelques graines. Ou encore ce chien qui m'interroge du regard en passant et me fait ressentir son besoin de jouer ou d'avoir une caresse amicale. Ce sont aussi l'aura des gens qui m'entourent et le magnétisme des pierres.
Toutes ces ondes qui, tels des panneaux indicateurs, n'arrêtent pas de m'envoyer des messages en tous genres sur leur état d'esprit, leur santé ou leur avenir. Epuisant ...
Jusqu'aux éléments qui font partie de moi : le vent qui me guide, le feu qui me renforce, la terre qui me soutient, l'eau qui me ressource.
Tous me ramènent à ma force intérieure, à mon moi unique constitué de composants impalpables, de milliers d'éléments intangibles et éternels. Et ce vide aussi ... à partir duquel peut naître le chaos le plus total.
Des pensées confuses m'assaillent parfois, telles des réalités virtuelles de vécus invraisemblables. Des souvenirs étranges de mondes, de vies, d'états aussi différents les uns que les autres. Assurément, je suis différente, mais jusqu'à quel point le suis-je ?
Mes pairs de cette réalité me trouvent parfois bizarre. Aussi, pour être tranquille, je ne leur dis plus tout ce que je ressens, car ça leur fait peur trop souvent. Combien de fois on m'a fuie ou mal jugée à cause de cela ! Ce que je « vois » pour eux, je sais à présent que je ne peux leur en parler que s'il s'agit de choses positives. Je leur tais le reste, et c'est mieux ainsi.
Même si cela est bien dommage car ils n'ont pas encore compris que c'est un tout. Ce que l'on respire, ce que l'on boit, mange, rejette, ce que l'on touche, transforme, détruit... Tout est lié et revient dans une sorte de ronde infinie, un cercle éternel de vie et de mort, de mort et de vie, les deux s'entraînant sans fin.
La mort a un sens lorsque l'on comprend ce qu'elle représente vraiment. Mais la plupart des humains en ont peur car l'instinct de survie est omniprésent dans chaque cellule de leur corps et dans chaque élément qui les entourent.
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme...
Les cellules se combinent, puis se séparent...
Les éléments évoluent, rapetissent, convergent, se transforment à nouveau, ...
Les minéraux, les végétaux, les animaux : un tout au milieu d'un vide qui n'en est pas un.
Et ce qui les anime ... ah ah ah !
Allez, au travail !!!
Rien
ne me détournera de mon objectif cette fois...