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Inachèvement

J'arrivai au laboratoire. Il n'y avait encore personne, à part Flora, qui était toujours la première arrivée.

- « Flora, nous devons parler... c'est important. »

- « Eh bien, bonjour d'abord. Et, oui, je t'écoute. »

- « Excuse-moi de te presser mais, c'est très important... Voilà... Hier soir, j'ai réussi. »

- « Et qu'as-tu réussi ? »

- « J'ai créé un vide où je me suis déplacée. Et tiens-toi bien ! Je suis restée...
  73 minutes dans cet espace ! et... » Flora me coupa sèchement la parole.

- « Tu as quoi ? ». Elle semblait très en colère.

- « J'ai réussi Flora ! »

- « Pourquoi as-tu fait ça en mon absence ? Cela aurait pu mal tourner ! Je veux tous les détails. Je t'écoute. » Flora nous isola au sein de l'octogone et prit place derrière son bureau pour m'écouter.

Au fur et à mesure que je racontais à Flora mon expérience, son regard devenait de plus en plus intense. Totalement concentrée sur moi, elle évaluait très exactement les dangers auxquels je m'étais exposée.

- « Voilà toute l'histoire Flora. Mais, je me sens très bien, je t'assure. ».

- « Sylveen, tout ceci est... incroyable. Et, je t'avoue que si ce n'était pas toi qui m'avais raconté tout ça, j'aurais eu du mal à y croire. »

- « Je sais. » lui répondis-je avec un grand sourire. « Que veux-tu que l'on fasse à présent ? On construit une machine plus grosse ? On retente l'expérience ? Tu... ».

- « Stop ! Sylveen, tu vas trop vite. Nous devons déjà analyser ce qu'a enregistré ton ordinateur. Ensuite, nous verrons si nous retentons l'expérience à l'identique ou à plus grande échelle. »

- « Flora, nous pouvons retenter l'expérience dès ce soir si tu veux. J'ai doublé toutes mes étapes et même si ma machine m'a lâchée hier soir, j'en ai une autre. Il suffit juste de faire les modifications adéquates pour qu'elle encaisse la charge. »

- « Très bien, nous allons nous isoler et travailler toutes les deux. Je vais donner des ordres pour que personne n'entre dans le laboratoire aujourd'hui. »

- « Merci Flora. »

- « Il n'y a pas de quoi. Excuse-moi de t'avoir parlé sèchement mais... je ne veux pas te perdre. » Elle me sourit mais conservait un regard inquiet.

Flora se dirigea vers la porte aux Cerbères afin de donner ses instructions.

Nous allions enfin pouvoir avancer ! Et en plus, Flora serait près de moi ... c'était vraiment une très belle journée qui s'annonçait !

Après plusieurs heures d'analyses des données recueillies hier soir par l'ordinateur, nous étions convaincues de pouvoir réitérer l'expérience. Mais cela allait prendre un peu plus de temps que prévu.

Flora nous commanda une pizza afin de ne pas perdre trop de temps. Après une courte pause, nous reprîmes le travail.

Tout avançait bien. Flora se fiait à moi et suivait mes recommandations. Enfin, peu avant minuit, tout était prêt.

- « Il ne reste plus qu'à tester. Je vais m'asseoir là et... »

- « Non Sylveen. Cette fois, je ne veux pas que tu fasses le test sur toi. »

- « Mais... »

- « Je veux que nous fassions cette expérience ensemble. »

Elle me serra dans ses bras. Mon rêve allait se réaliser. Nous allions nous plonger toutes les deux dans l'expérience. J'étais aux anges !

- « Flora... je voulais te dire... à propos de moi et de mes... perceptions... »

- « Inutile Sylveen. Je sais que tu es différente, et c'est ce que j'aime chez
toi. »

Rien ne pouvait plus me faire plaisir. Non seulement Flora me comprenait mais en plus, elle voulait aller au bout de l'expérience avec moi.

- « Très bien, allons-y ! ». J'entrepris de régler le faisceau afin qu'il soit plus large.

Une fois installées toutes les deux sur la chaise face à la machine, serrées l'une contre l'autre, nous nous regardâmes une dernière fois. Et dans un sourire, j'appuyai sur la télécommande.

Je ne ressentis pas le même effet que lors de la première expérience. Mon cerveau avait bien été percuté par le faisceau et un inter-espace s'était bien créé. Mais cette fois, aucune rosace multicolore n'était venue remplacer le laboratoire autour de nous.

Je me tournai vers Flora pour voir si elle vivait le même moment quand je m'aperçus avec horreur qu'il n'en était rien.

Son visage était secoué d'ondes et subissait une sorte de mutation. On eût dit qu'elle était coincée entre deux espaces. Immédiatement, j'appuyai sur la télécommande. La machine s'arrêta. Au même moment, Flora s'effondra sur le sol.

- « Flora ! Oh non, qu'est-ce que j'ai fait ? » Je pris sa tête entre mes mains.

Elle ne semblait pas avoir de séquelles. Elle respirait normalement. J'écoutai son cœur. Les battements étaient normaux. Je soulevai une de ses paupières. Son regard vert avait laissé place à un vide sidéral. Que faire ?

Le faisceau devait être trop large. Je n'avais pas le choix.

Je replaçai Flora sur la chaise pour la caler face à la machine.

Je réglai le faisceau de manière à bien le calibrer sur son front, entre ses deux yeux. J'appuyai sur la télécommande... puis au bout de 2 secondes, j'éteignis.

Flora n'avait pas bougé d'un millimètre.

- « Flora, réponds-moi ! Flora ! »

Flora ouvrit les yeux. Elle semblait absente.

- « Flora, s'il te plait, parle-moi ! Dis quelque chose ! ».

Flora tourna son regard vers moi. Elle semblait m'entendre sans me voir.

Cela ne servait à rien que j'appelle les secours. Ils ne sauraient pas traiter ce genre d'urgence.

- « Flora, peux-tu te lever ? »

Je pris sa main et elle se leva.

- « Très bien Flora. Que vois-tu ? Peux-tu me le dire ? »

Aucune réaction. Fallait-il que j'actionne à nouveau la machine ?

« Tu es perdue, hein ? » se moqua la petite voix dans ma tête.

Réfléchis ... Réfléchis ...

Mais oui, bien sûr ! Pourquoi n'y avait-je pas pensé plus tôt ?

Je recalibrai la machine et reconduisit Flora jusqu'à la chaise.

Cette fois, ça devait marcher !

Une grande lumière blanche nous enveloppa toutes les deux.

Le laboratoire disparut autour de nous.

Flora était près de moi dans cet espace, mais quelque chose clochait.

« Je crois que tu as oublié que R.E.S.E.T. pouvait prendre Flora à ta place. » exprima la petite voix dans ma tête.

- « Non ! Pas ça ! Non ! Surtout pas maintenant ! »

Le corps de Flora commença à disparaître. J'avais échoué. J'étais seule à nouveau. Flora s'était évaporée. Je tombai à genoux tandis que le laboratoire se rematérialisa autour de moi.

- « Je ne veux plus rester ici. Tu peux m'emporter. »

Après un long moment dans le silence, agenouillée par terre, je me rendis compte qu'il ne se passerait rien. J'avais l'impression que R.E.S.E.T. jouait avec moi comme un chat joue avec une souris. Mais rira bien qui rira le dernier ! Pleine de colère, je recalibrai la machine une dernière fois.

Le faisceau percuta mon cerveau au moment où je pensais à Flora. Son visage apparut devant moi, souriant comme toujours. Ses yeux verts pétillants de malice me firent un signe pour me diriger.

J'avançai dans une brume qui s'éclaircissait au fur et à mesure. Le visage de Flora disparut. Devant moi se tenait une capsule où je pris place.

Une voix raisonna... « Bon voyage, jeune fille. »

La capsule se referma et se mit à tourbillonner si vite que je m'évanouis.

~

Où étais-je ? Un inconnu s'approcha de moi. Il portait un chapeau étrange, d'aspect métallique, qui agrandissait sa silhouette immense. Sans dire un mot, il me tendit une clé.

Son regard perçant scrutait ma réaction. D'une voix profonde, il me dit : « cette clé est un mystère, mais peut-être le mystère se trouve-t-il dans cette clé ». Qu'est-ce que ça voulait dire ?

Je pris la clé dans ma main ; elle était douce et chaude. L'inconnu ajouta : « elle te sera utile ». Puis il repartit comme il était venu, s'évaporant dans le brouillard environnant.

Je regardai la clé ; sa forme était étrange. Composée d'un anneau qui semblait en laiton, elle devait faire dans les dix centimètres de long.

A son embase se trouvait un dragon sculpté qui crachait, non pas des flammes, mais des branches et des feuilles. La tige en forme de S, formait son corps et prolongeait l'effet d'un dragon en mouvement, qui se lovait dans le creux de ma main comme pour la caresser.

La clé se terminait par un panneton en forme de F. Sans doute pour ouvrir un vieux coffre improbable ou une porte au pêne rouillé.

Qu'allais-je faire de cette clé mystérieuse ? Pourquoi cet inconnu me l'avait-il confiée ? Et qui était-il ? Plus je regardais la clé, plus les questions m'assaillaient. Quelle signification donner à tout ça ? Étais-je en train de rêver ? Allais-je me réveiller ?

« Allons Sylveen, concentre-toi ! »

Inspire... Expire...

Soudain, le dragon illumina de ses yeux mes pensées, tel un feu généreux. Il recrachait des feuilles dont s'écoulait une eau pure. Les branches s'agitaient au gré d'un vent qui provenait en fait de mon souffle. Puis, tout s'éclaira ...

Le dragon, c'était moi !

Cette clé en forme de S me représentait et son extrémité en forme de F ... Flora !

A la fois partie de moi et élément unique qui me complétait. Tout se tenait. Mais quelle était l'utilité de cette clé ? Je n'allais pas tarder à le découvrir.

~

Il faisait noir. J'avais l'impression d'avoir voyagé pendant longtemps mais je ne saurais dire combien de temps. Je me mettais en quête de savoir où j'avais atterri cette fois.

J'attendis que la fumée dégagée par mon atterrissage se dissipe. Puis j'avançai prudemment dans cet environnement étrange et inconnu. Je sentais sous mes pieds s'enfoncer le sol, comme s'il était recouvert de mousses.

Une désagréable odeur d'humus en décomposition emplissait mes narines. Des bruits étranges de gargouillis me parvenaient.

Soudain, le sol bougea et je me retrouvai à terre. Je sentis sous mes mains une étrange matière visqueuse. Il faisait si sombre ...

Aveugle, je me fiais à mes autres sens. Ceux-ci me renvoyaient des signaux d'alerte de plus en plus forts. Les battements de mon cœur s'accélérèrent et ma respiration devint soudain saccadée. Et je compris...

C'était mon moi intérieur qui cherchait à m'absorber et me digérer. Il fallait que j'expulse toute cette noirceur et que j'évacue ce côté sombre d'une manière ou d'une autre.

En me relevant, je sentis la clé mystérieuse dans ma poche. Je la sortis et la tint un instant dans ma main. Semblable à une épée de vérité, je la plantai dans le sol.

Tel un cœur transpercé, mon moi sombre réagit violemment. Dans un soubresaut, il me fit basculer en arrière. J'arrivai néanmoins à me maintenir debout. Je luttai contre moi-même, ne sachant pas quelle issue aurait cette bataille qui me semblait perdue d'avance.

Soudain, la lumière jaillit.