Exypnos : chapitre 4

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Fragments

Fragment 1 : l'air

Non sans difficultés, je réussis à m'extirper de la capsule spatio-temporelle. Les bourrasques qui m'avaient accueillie avaient transformé mon atterrissage en un crash laborieux.

Dès mes premiers pas, mon corps fut ballotté en tous sens, le vent me transformant en un pantin désarticulé, forcé de suivre le rythme d'une danse macabre.

Je me courbais pour mieux avancer. Le souffle coupé, j'essayais tant bien que mal de progresser dans ce monde inconnu et hostile. Mes pensées tintinnabulaient dans ma tête, heurtant mon crâne tel un tambour.

Soudain, le vent retomba. Un silence de mort plomba l'instant.

Je m'aperçus que je retenais ma respiration. Je pris une grande bouffée d'air qui me submergea de bonheur. Un bonheur simple, naturel, fondamental. Cet air bienfaisant, si frais et vivifiant, était délicatement parfumé. Une douce plénitude m'envahit.

Je savourais cet instant de dérive, mon esprit planant au-dessus de cet environnement étrange mais bien moins inhospitalier qu'il n'y paraissait au premier abord.

Mon esprit prit son envol, tel un oiseau glissant au gré des courants, tantôt plus chauds et m'invitant à prendre de l'altitude, tantôt plus froids et me précipitant vers la surface où se déchainaient les éléments.

Jamais je ne m'étais sentie aussi bien. Profondément en phase avec moi-même, je calais ma respiration et calmais le ressac de mon âme. Totalement apaisée, je pris la décision d'explorer plus avant les environs. Tandis que je marchais, le vent venait caresser mes cheveux, les faisant doucement onduler.

Cette bouffée d'oxygène me faisait un bien fou. Je touchais enfin au but : être zen ; être libre ; être moi.

A la fois forte et fragile, en capacité d'affronter les éléments tout en devant m'en protéger, j'assurais chaque pas qui me conduisait sur ce chemin caillouteux.

Inspirer ... Expirer ...
Je comprenais chaque chose qui m'entourait.

Je m'adaptais à chaque seconde, refoulant l'envie de détruire ce qui m'importunait. Après tout, c'eût été trop facile. Supprimer plutôt que créer, quelle ignoble tentation !

Inspirer ... Expirer ...
J'évoluais. Je touchais du bout des doigts les nuages. Je ressentais les ondes positives qui m'entouraient et les rayons du soleil qui caressaient ma peau.

Inspirer ... Expirer ...

Une nouvelle onde me fit encore évoluer. Je vibrais au flux bruyant qui coulait dans mes veines, écoutant les battements de mon cœur.

Inspirer ... Expirer...
J'évoluais vers ma métamorphose et en cet instant, je me sentis aussi légère qu'une plume. J'avais oublié le poids des tracas.

Enfin, je revivais !

Curieuse de lever le voile sur les sentiments qui m'animaient, je découvris un espace multicolore, calme et reposant. Je comprenais qui j'étais. Je savais où je devais aller et comment m'y rendre.

Ravie à l'idée de découvrir encore et toujours de nouvelles choses et de vivre de nouvelles expériences, je continuais à avancer, seule.

A présent, libre de toute entrave, j'avançais vers mon destin, avec pour seule prison ce corps que j'allais bientôt abandonner car il refusait de plus en plus les caprices de mon intrépide caractère.

J'avais écarté les barreaux qui me retenaient et mes muscles commençaient à me le faire sentir. Je décidai de m'arrêter un peu pour me reposer et profiter pleinement de ce havre de paix qui s'offrait à moi.

Ce trésor insoupçonné qui dormait au fond de moi, tapi dans l'ombre, n'attendait que le moment opportun pour exploser au grand jour.

Inspirer ... Expirer ... Je soufflais enfin.

Inspirer ... Expirer ... Dormir ... Rêver peut-être ? M'envoler vers d'autres rives, sûrement.

Un dernier regard sur les nuages avant de fermer les yeux... Flora ! Tel un ange de coton, le visage de Flora était suspendu au-dessus de moi. Le nuage s'étira puis fut balayé par le vent.

« Flora, tu me manques tellement ! »

Mon esprit se libéra pour se joindre au sien ... mon corps mental prit la forme d'un nuage et tandis que le vent m'emportait, je ressentis les caresses de Flora, douces comme de petites brises.

Entourée par son esprit, je me sentais bien.

Un éclair zébra le ciel et je fus instantanément ramenée à l'intérieur de la capsule. Mon voyage continua.

Fragment 2 : le feu

La capsule me déposa brutalement sur un morceau de roche. Ce mince espace était bordé d'un fleuve en fusion qui risquait à tout moment de le consumer. Ma combinaison était sensée me protéger mais malgré tout, je ressentais toute l'hostilité de mon environnement. Au moment où je me penchais vers le magma pour l'analyser, une forme émergea du centre de la lave.

- « Que viens-tu faire ici ? » dit une voix dans ma tête qui fit vibrer mon crâne.

- « Je viens vous rencontrer. » répondis-je d'une voix impassible.

- « Qui es-tu ? ».

- « Je ne suis qu'un être désireux de vous connaître. »

- « Pourquoi une telle curiosité ? »

- « Ma nature est ainsi faite. M'y soustraire reviendrait à renoncer à évoluer. »

- « Que veux-tu ? »

- « Comprendre. Je ne peux m'appuyer sur mes pairs car je suis trop différente et je pense que par certains côtés, je leur fais peur. »

J'étais en effet pour eux l'électron libre à éviter. Alors, je renforçais la distance, prenant garde toutefois à ne pas les blesser. Mais au final, c'est moi qui souffrais. Cependant, les électrons ont parfois besoin d'obstacles pour mieux rebondir... et se trouver.

- « Savoir n'est pas comprendre. Que sais-tu ? »

- « Je ne sais rien »

- « Pourquoi crois-tu que je te donnerai les réponses que tu attends ? »

- « Parce que je suis venue. »

Face à ce géant de feu, je brûlais d'impatience. Le terme était bien choisi. Je souris à cette idée. Le géant prit mon sourire pour un message. Il s'assit devant moi. La lave coulait sur le bas de son corps, le rendant presque blanc. La température, moins élevée de son buste à sa tête, commençait à laisser refroidir la surface de la créature, formant une croûte plus sombre tirant sur le rouge sang.

- « Alors écoute ... »

Ses mots résonnèrent en moi. Animée d'un nouveau feu, je savais que, tel un phénix, j'allais repartir sur de nouvelles bases. Le temps du renouveau avait sonné. Ses paroles consumaient mes doutes et réduisaient en poussière mes pensées erronées. Il nourrissait ma force et renforçait ma volonté. L'amour et ses brûlantes ardeurs me guidaient subrepticement vers la sagesse.

J'évoluais encore ... Ma métamorphose était presque accomplie.

Fragment 3 : la terre

La capsule atterrit sur les frondaisons des plus hauts arbres. Un océan de verdure s'étendait à perte de vue.

Grâce aux propulseurs situés dans ma combinaison, je descendis doucement vers le sol. Un épais tapis de mousse m'accueillit.

J'avançais lentement dans cet espace silencieux et paisible, provoquant un bruissement insolent à chacun de mes pas.

Certaines fleurs semblaient se pencher sur mon passage, comme pour me saluer. D'autres au contraire, se recroquevillaient, apeurées par mon approche, et ne se redressaient qu'après mon passage, curieuses de voir cet être étrange traverser bruyamment leur espace.

Des lianes couraient autour de troncs sinueux, tels des serpents énervés.

Mes pas m'amenèrent jusqu'à une clairière où un être mi elfe - mi fée m'attendait. Ses grands yeux m'étudiaient avidement. Des feuilles d'un vert profond formaient une sorte de robe qui dansait tout autour d'elle. Un bruit derrière elle la fit se retourner. Son dos m'apparut alors. De petites tâches d'un vert plus clair dessinaient une petite voie lactée que je reconnus immédiatement.

- « Flora ... » dis-je dans un souffle.

Elle se retourna vers moi et me sourit.

Un de ses congénères approchait. Lorsqu'il nous eut rejoint, il tendit vers moi un bâton noueux formant à son extrémité une sorte de petite cage, dans laquelle se trouvait emprisonné un cristal, d'où émanait une légère pulsion lumineuse.

Soudain, sans que je m'y attende, il l'enfonça dans ma poitrine. Curieusement, aucune douleur ne monta à mon cerveau et aucun cri ne sortit de ma bouche. Une substance laiteuse coula de mes yeux. Le goût de la sève envahit ma bouche. Mes bras se transformèrent en branches et durant un instant, j'eus l'impression que mes cheveux étaient devenus des feuilles et que de l'oxygène sortait de mes poumons.

L'elfe retira son bâton. La cage contenait désormais mon cœur. Tandis que je regardais ma poitrine où le cristal avait pris place, la Flora-fée m'enlaça. De petites fleurs blanches poussaient partout autour de nous. Puis je vis mes feuilles devenir jaunes, puis rousses. Elles se détachèrent et s'envolèrent au loin.

Sur la Flora-fée apparut un bourgeon, puis deux, puis cinq. Son ventre en était recouvert. Souriante, elle se recula tandis que l'elfe déposa à nouveau son bâton sur ma poitrine. Je sentis un grand vide en moi. Tout mon corps sembla se geler.

Lorsque l'elfe reprit son bâton, le cristal y avait repris sa place.

J'avais récupéré mon cœur mais perdu la chaleur qui m'avait précédemment envahie. Mes bras avaient repris leur apparence mais mon être intérieur avait changé. Nous étions entrées en fusion et l'énergie que nous avions dégagée durant ce court moment avait créé des milliers de vagues de couleurs, chacune intensifiant une émotion qui s'était gravée dans mon cœur à jamais.

Avec regret, je vis s'éloigner la Flora-fée et l'elfe qui l'accompagnait. J'aurais aimé rester près d'eux. Je me sentais bien dans cet environnement reposant et calme. Les lianes s'agitèrent comme pour me signifier que le temps était venu pour moi de quitter la clairière.

Je rejoignis ma capsule.

Il était temps pour moi de repartir.

Il ne me restait qu'un seul fragment à étudier avant de rentrer.

Inspirer ... Expirer ...

Chaque chose qui m'entourait faisait désormais partie de moi.

Chacun des éléments qui me composaient m'étaient à présent totalement connus et j'étais parfaitement en phase avec eux.

J'étais entrée en parfaite harmonie, jusqu'au plus petit niveau subatomique.

Ma métamorphose allait bientôt toucher à sa fin.

Fragment 4 : l'eau

La capsule s'enfonça dans les profondeurs d'une eau sombre et glacée.

Ma pensée impulsa une accélération vers la surface.

Plus je remontais, plus l'eau devenait claire et limpide.

De petits poissons commençaient à apparaître de-ci, de-là et m'accompagnaient en dansant autour de moi.

La capsule jaillit à la surface, formant une gerbe d'eau étincelante.

Le soleil brillait au-dessus de cette étendue faite de mille bleus. J'ouvris la capsule pour profiter pleinement de ce nouvel environnement.

A perte de vue s'étendait autour de moi une immensité miroitante qui semblait tantôt vouloir me bercer, tantôt désirer m'avaler.

Devant moi se forma un tourbillon d'écume. Celui-ci commençait à se concentrer sur lui-même et à ressembler à un trident. Soudain, tout s'immobilisa. Le trident d'écume pointa vers moi et s'élança.

Je pensais que j'allais être transpercée. Mais non. Le trident s'arrêta à quelques centimètres de ma poitrine. Puis il s'évanouit dans une gerbe qui faillit me renverser. J'attendis, tous mes sens en alerte, dans ce silence étrange, que seules quelques vaguelettes venaient briser en heurtant la coque de ma capsule.

Un son me parvint, étouffé, puis plus clair. C'était comme un chant. Allais-je rencontrer une sirène ? Je repensais à Flora en cet instant et mes yeux se mirent soudain à recracher une eau boueuse. Le chant se précisa en un message cristallin.

« Nettoie ton cœur et ton âme puis rejoins l'onde lumineuse. »

Je pris une grande inspiration et tandis que je plongeais, j'eus l'impression que ma peau rejetait par chaque pore toutes les noirceurs vécues et les pensées impures qui m'avaient souillée.

Je continuais de nager sous la surface, à la manière d'un apnéiste, laissant doucement onduler mon corps. De petites bulles s'échappaient de mon nez. Apaisée, je finis par m'arrêter face à une lumière dansante et bleutée.

Étonnamment, je ne ressentais pas le besoin de respirer. Le temps s'était arrêté. L'onde lumineuse me rejoignit et fit corps avec moi. Mes sentiments entraient et sortaient de moi, formant d'autres ondes qui se perdaient dans cet océan de vie. Je ressentais un picotement sur chaque parcelle de mon corps.

L'onde me porta jusqu'à la surface et me déposa près de ma capsule.

« Ta transformation est terminée. Tes trois corps [énergétique, astral et mental] sont prêts : ta volonté les animera. A toi de trouver la bonne harmonie. Va et œuvre au renouveau. »