Exypnos : chapitre 5
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Point critique
Ma métamorphose était à présent complète. Je pouvais désormais transformer ce qui m'entourait grâce aux éléments et à la constitution même des cellules et des composants de chaque chose. Minéraux, végétaux, animaux, je pouvais tout manipuler. Il me suffisait de me concentrer sur un élément pour qu'il intervienne dans la transformation que je désirais.
J'étais
bien décidée à m'en servir pour éliminer R.E.S.E.T. Je
n'aurai de cesse que de le chercher pour le trouver et l'annihiler une bonne
fois pour toutes !
La capsule me déposa dans un endroit assez étrange, entièrement gris et poussiéreux. Je pensais pourtant arriver sur Terre dans l'espace-temps que j'avais quitté avec Flora.
Flora ... elle me manquait tellement. Penser à elle me transperçait le cœur.
Je m'avançai dans un espace froid et dur, recouvert d'une sorte de béton anthracite. Je n'apercevais ni végétaux, ni animaux.
Je reconnus la rue où se trouvait le Laboratoire mais l'endroit était désert. Il n'y avait pas âme qui vive. Tout semblait abandonné. J'entrai...
Je me dirigeai vers l'ascenseur, mais rien ne fonctionnait. Je pris les escaliers. Arrivée au dernier étage, lorsque j'ouvris la porte, il n'y avait personne pour m'accueillir.
Le laboratoire semblait ne pas avoir reçu de visiteurs depuis des décennies.
Un petit ronronnement attira mon attention. Tandis que je me dirigeai vers lui, un bruissement derrière moi me fit comprendre que je n'étais pas seule.
Rapide comme le vent, je me plaquai contre le mur de l'octogone à moitié détruit, prête à me défendre.
La créature décharnée qui voulait me prendre à revers fut surprise et s'arrêta net en poussant un petit cri étranglé. Ce n'était qu'un enfant, mais je restai sur la défensive. Ses grands yeux noirs apeurés semblaient absorber la lumière. Son regard était immense.
- « N'aie pas peur ... je ne te veux aucun mal. » Je lui tendis la main et, tandis que je m'approchai, il recula d'un pas. Je décidai de ne plus bouger.
- « C'est mon laboratoire ici, tu sais ... Que fais-tu là tout seul ? »
L'enfant me jeta un regard incrédule.
- « Mais, je ne suis pas seul ! »
- « Bien... peux-tu me conduire aux autres s'il te plait ? »
- « D'accord. Suis-moi. »
Nous avancions rapidement dans le couloir qui menait aux pôles de recherche de premier niveau, dans la zone B. J'essayais d'en savoir plus sur cet étrange enfant.
- « Je m'appelle Sylveen. Et toi, comment t'appelles-tu ? »
- « Ouranos ».
- « Ouranos ... le Ciel couronné d'étoiles ... »
- « Oui, c'est à cause de mes yeux noirs pétillants. » me dit-il d'un air entendu.
- « Je vois ... » lui répondis-je en souriant.
Arrivés dans la zone B, je repérai immédiatement d'où venait le ronronnement que j'avais entendu dès mon arrivée.
Cela ressemblait vaguement à l'une de mes machines, mais c'était comme si quelqu'un l'avait fabriquée à partir d'un bric-à-brac entouré d'un fourbi sans nom.
- « Alexandre, Sylveen est revenue. »
Un homme immense se leva et se retourna. Son étonnement laissa la place à un large sourire.
- « Bienvenue Sylveen ! Si j'avais su qu'aujourd'hui j'allais me retrouver face à toi, j'aurais préparé ton accueil ! Désolé pour tout ce bazar... Mais, je suis tout seul à présent avec Ouranos à garder ce sanctuaire. »
- « Un sanctuaire ? Ce laboratoire ? Mais, en quelle année sommes-nous ici ? »
- « Nous sommes le mardi 8 juin 2062 et je me nomme Alexandre. Je suis le dernier gardien, bien que ce terme ne soit guère approprié puisqu'il n'y a plus rien à garder. » Son rire nerveux raisonna étrangement.
- « Est-ce que nous nous connaissons ? Désolée, mais je ne me rappelle pas de vous ... » dis-je sur le ton de l'hésitation.
- « Tout le monde te connait ! » fit-il en montrant une photo exposée au mur où j'apparaissais aux côtés d'un homme dont je ne me souvenais pas non plus.
- « Je vais tout te raconter. Viens, installe-toi. »
Tandis qu'il me dégageait un peu d'espace, Ouranos installa consciencieusement quelques coussins par terre.
Tous les trois assis en tailleur au ras du sol, j'avais l'impression que nous allions organiser une séance de méditation chamanique.
Alexandre se mit à me raconter comment les choses avaient évolué après le scandale du RFST. D'après ce que je comprenais, j'avais disparu avec Flora et le laboratoire avait mené des expériences plus que douteuses durant notre absence. Mais j'étais revenue pour expliquer au monde entier ce qui avait failli advenir de l'humanité. Hélas, cette action comme beaucoup de mes interventions, furent mal comprises. L'humanité tout entière se révolta et partit dans un grand chaos où s'entremêlèrent bombes nucléaires et folie meurtrière.
- « Mes notes et mes machines, je les ai oubliées en effet. » Perdue dans mes pensées, je secouai ma tête de droite à gauche. « C'était donc il y a 43 ans pour vous... »
- « Oui, c'est à peu près ça. » Il se servit un verre d'eau avant de reprendre son récit.
Son histoire me glaçait le sang et pourtant, un petit feu intérieur m'apaisait. Étrange...
Alexandre en vint à m'expliquer comment ses semblables furent pratiquement décimés durant une gigantesque tempête qui dura près de 16 mois. Car après le chaos apporté par les hommes, ce fût au tour de la Terre de se révolter et de rendre à l'humanité la monnaie de sa pièce.
« Les vents détruisirent tout sur leur passage, formant des cyclones dévastateurs. Des feux intenses réduisirent en cendres le peu de terres encore fertiles. Des pluies torrentielles finirent de tout nettoyer. Lorsque les derniers humains encore vivants sortirent de leurs abris antiatomiques, ils se rendirent compte que tout était fini et que plus rien ne pourrait survivre sur cette pauvre Terre. Certains se suicidèrent tandis que d'autres se regroupèrent ici.
Les derniers chercheurs mirent toute leur énergie à comprendre des plans retrouvés par hasard dans le laboratoire, et se mirent en tête de créer un vortex pour sauver le peu qu'il restait de l'humanité en les transférant dans un monde parallèle. Et grâce à ces plans, près de cinq mille personnes ont pu repartir de zéro dans un nouveau monde ! Enfin, j'espère car je n'ai jamais vu personne revenir. »
- « Cinq mille ... c'est tout ? » dis-je dans un souffle. J'étais effarée.
- « Et c'est déjà bien tu sais ! Entre les radiations, le manque d'eau et de nourriture, il était moins une que l'humanité ne disparaisse à jamais ! Nous sommes passés à ça » fit-il en plaçant son pouce et son index à quelques millimètres l'un de l'autre.
- « Et les autres ? Je veux dire, les végétaux, les animaux ... »
- « Détruits pour la plupart, ou recréés pour quelques-uns en laboratoire, ce qui nous a permis d'avoir le temps de trouver une solution pour le grand transfert. »
- « Le grand transfert ? »
- « Oui, un jour, tout était prêt et ils sont tous passés de l'autre côté. Sauf moi. »
- « Toi, et Ouranos. » précisais-je en regardant l'enfant.
- « Non, pas vraiment. Un matin, tandis que je me réveillais, je vis deux yeux immenses penchés au-dessus de moi. J'ai bien failli avoir une crise cardiaque ! »
Ils éclatèrent tous les deux dans un grand rire qui fit résonner la salle comme une caverne.
- « Je ne sais pas d'où il est sorti, mais il m'a trouvé. Nous nous tenons mutuellement compagnie et prenons soin l'un de l'autre. Les journées semblent ainsi bien moins longues. »
- « Mais, comment survivez-vous ici tous les deux ? »
- « Nous avons créé une sorte de mini serre et grâce à notre imprimante 3D, nous fabriquons nos protéines. »
- « Puis-je les voir ? ».
- « Oui, bien sûr, suis-moi ! ».
Alexandre marcha devant et s'enfonça dans l'aile C du laboratoire, ou du moins, de ce qu'il en restait.
Ouranos sautillait à côté de moi.
Nous atteignîmes enfin la serre. Elle n'était pas très grande en effet, mais très bien aménagée.
Dans une sorte d'allée poussaient quelques légumes, des carottes et des panais, pour la plupart suspendus à des tubes. Plus loin, dans un petit carré, se tenaient quelques herbes aromatiques.
Un pommier remplissait l'espace qui nous séparaient encore de la salle où l'imprimante 3D s'activait à la création de ce qui ressemblait à un steak.
Tandis qu'Alexandre me montrait le fonctionnement de l'imprimante à protéines, Ouranos s'installa sur une chaise face à un écran.
Maigre consolation, il regardait les images de forêts peuplées d'animaux et de plantes incroyables qui avaient disparu de la surface de la Terre. Des milliards de plantes et d'animaux... disparus. Quel désastre !
- « Et pour l'eau, nous avons conçu un système de circuit fermé et de traitement qui nous permet à la fois de boire mais aussi d'arroser. Alors, qu'en penses-tu ? Nous nous sommes plutôt bien débrouillés, non ? ».
Je restais interdite, ne sachant pas trop quoi répondre à une telle question.
- « Avez-vous conservé des échantillons de minéraux et l'ADN de quelques espèces ? »
- « Oh oui, nous avons transformé les sous-sols du laboratoire en une grande banque ADN ! Tu veux la voir ? »
- « Oui, car j'aimerais bien tenter une expérience à l'extérieur. »
- « Tu veux dire, faire repousser des choses dehors ? Mais, ça ne tiendra pas longtemps ! »
- « Pourquoi ? Il y a toujours des tempêtes ? »
- « Non, ça s'est un peu calmé depuis quelques temps. Mais les radiations sont toujours bien présentes, elles. C'est pour ça que nous ne sortons pas. Ici, nous sommes protégés. »
Nous descendîmes sur une petite plate-forme rudimentaire vers les étages les plus bas du laboratoire. Cela devait représenter une bonne quarantaine de mètres sous terre. Lorsque la salle s'éclaira, des millions de vitrines s'offrirent à notre regard. Certaines contenaient des minéraux, d'autres des caissons pour conserver l'ADN pour l'heure inanimé d'une forme de vie.
- « C'est très bien. Cela me suffira largement à vous recréer un espace de vie un peu plus animé à l'extérieur de ce laboratoire-sanctuaire. Si vous voulez que je m'en charge bien sûr... »
- « Volontiers ! Tu es notre héros tu sais ! » me dit-il avec un grand sourire.
Je lui rendis son sourire et entreprit de me mettre à la tâche. Je n'avais rien d'un héros et ne souhaitais pas du tout passer pour tel.
Durant une semaine entière, je mis en place une zone qui s'étendait sur toute la surface de la ville. Transformant la matière, assainissant l'espace, je recréai une terre fertile, prête à recevoir les graines de la vie. Je plaçai le tout sous un dôme protecteur qui, tel un placenta, abriterait la vie qui allait grandir et s'épanouir.
Les quelques plantes qui subsistaient en laboratoire étaient exsangues de ce qui faisait leur force. Mes connaissances et surtout mes nouveaux pouvoirs allaient m'aider à redonner vie à cette planète et permettre à ses occupants un nouveau départ.
La semaine suivante, la zone ayant produit ce que j'attendais, je m'attaquai à présent à quelques représentants indispensables du règne animal : abeilles et autres papillons allaient bientôt se charger de la pollinisation. Et tout reprendrait son cours ... doucement.
Au bout d'un mois, j'invitai Alexandre et Ouranos à venir découvrir ma petite réalisation.
Un peu méfiants, ils avancèrent prudemment vers la sortie. Ils mirent leur main en visière, le soleil ne faisant plus partie de leur quotidien depuis bien longtemps. Bien que se levant à peine, celui-ci les aveuglait.
Ouranos était stupéfait et poussait de petits cris en sautant partout et en pointant du doigt ce qu'il découvrait.
- « C'est magnifique ! » s'écria Alexandre, les larmes aux yeux. « Tu as recréé le paradis ! »
- « Si peu ... mais je reviendrai bientôt pour continuer. »
- « Tu pars déjà ? » me dit-il désemparé.
- « Oui, il le faut. Mais je reviendrai très bientôt. C'est promis. En attendant, vous allez tous les deux vous occuper de bichonner ce petit paradis. D'accord ? »
Ils semblaient tous les deux à la fois emballés par l'avenir que je leur offrais et désemparés par mon départ.
Mais je devais repartir à la recherche de R.E.S.E.T.
Mon don m'avait permis d'agir sur chaque cellule, sur chaque élément, pour façonner cet environnement riche de vie.
Le temps de cette création, je me sentis utile et en phase avec moi-même.
Mais j'étais épuisée. Je décidai de me reposer toute la journée et le soir même, j'entrepris de regagner ma capsule.
A peine installée, la petite voix revint dans ma tête. Cela faisait très longtemps qu'elle ne s'était pas manifestée. Depuis le début de ma transformation en fait.
« Veux-tu me rejoindre ? »
Ces 4 mots m'avaient totalement éveillée et en une fraction de seconde, j'avais retrouvé toute mon énergie.
C'était R.E.S.E.T. qui me contactait directement. Enfin, j'allais le rencontrer.
- « Oui. » répondis-je.
Tout
s'effaça autour de moi. La capsule n'était pas nécessaire où je me rendais.
Mon
corps actuel non plus.