Textes poétiques
Fascination
Je savoure le jour qui se lève sur le silence que seuls les oiseaux tutoient. Je prends mon petit déjeuner sur ma terrasse, déjà bien ensoleillée mais encore fraîche. Jour paisible accueillant mon âme. Esprit libre dans un corps confiné.
Le bonheur peut se résumer à ces instants de grâce où le corps et l'esprit ne font plus qu'un, dans un environnement qui les accueille.
Calme. Immobile. Sereine. Cinquième élément qui vient s'associer à l'équilibre des quatre puissances naturelles. Quintessence de l'expression d'une Vie, dont l'éther nous échappe trop souvent dans cette existence que nous traversons, tantôt comme des volcans fulminants de rage, tantôt tels des torrents déchaînés, parfois comme des bourrasques hiératiques incompréhensibles, ou comme des tremblements de terre, spasmes de nos derniers idéaux.
Fantôme de sa propre lumière qui décline au fil des saisons, je laisse loin de moi l'humanité qui s'agite dans sa jeune nature. Elle déroule sa propre réalité sur le parchemin de sa destinée, broyant les minéraux, transformant la Terre, consommant à outrance ses ressources en dépit du bon sens.
Une poignée d'humains oublie l'essentiel ; dans leur course effrénée qu'ils imposent aux autres, ils fuient l'invisible ennemi qui se terre au cœur de chacun d'eux. Ils modèlent les cervelles des jeunes troupeaux, au travers de visions pernicieuses de la Vie et de danses macabres dont chacun se doit de suivre les pas, au risque d'être précipité hors de la scène pour mourir dans les sombres coulisses d'un purgatoire de misère.
Et je suis là, face à mon bonheur, résumé en cet instant présent à une tartine de pain beurrée et recouverte de confiture de myrtilles sauvages, dégustée à l'air libre, dans le silence d'une nature en paix. Je me délecte et me laisse aller dans la délicieuse torpeur de ma sérénité.
Mon esprit se connecte à ce que la Nature a de plus incroyable à nous offrir : le miroir de sa beauté pleine de quiétude. Ce qu'elle reçoit de nous, elle nous le renvoie et ce que nous percevons d'elle fait partie de nous.
Je ne suis pas ce qu'on appelle « une voyageuse », contrairement à beaucoup de personnes qui n'ont de cesse de sillonner la planète en tous sens, prenant le monde pour un terrain de jeu dont ils dictent les règles aux autochtones.
Je suis ce que j'appelle « une âme nomade ». Je ne ressens pas le besoin de partir pour voyager. Mon esprit vagabonde et entre en contact avec des lieux, parfois des êtres, animés ou non.
Mes amis proches pensent que je suis 'éveillée', d'autres 'connectée'. Une chose est sûre, je ressens, j'absorbe, je perçois, j'éprouve, j'endure, je discerne, je pressens, je diffuse, je conçois, j'embrasse, je me nourris, je partage, je pense... Je suis.
Je regarde une fourmi grimper le long de mon rosier. Attirée sans doute par la nuée de pucerons qui ont envahi le dernier bouquet de boutons de roses. Je l'observe. Elle vient se rassasier de leur miellat. Interdépendance... la Nature est si bien faite.
Je décide de profiter de ce matin plein de légèreté pour me réaligner avec moi-même. Je m'installe confortablement sur mon transat et je regarde les petits nuages blancs me dessiner leurs messages, fils de coton qui s'étirent, se rassemblent, se transforment. Je ferme les yeux. J'entends les oiseaux qui pépient les dernières nouvelles du printemps qui nous sourit. Je sens le vent léger, prêt à me faire voyager sur ses ailes. Mon esprit dérive vers d'autres lieux, d'autres vies, d'autres beautés...
Dans un grand parc laissé à l'état sauvage, un daim blanc sort majestueusement de la brume matinale. Il s'arrête, tous les sens en alerte. Son œil attentif scrute le moindre mouvement. Je perçois les battements de son cœur et l'humidité ambiante dégagée par la végétation du sous-bois. Nous voici tous deux pétrifiés dans le silence qui nous enveloppe et nous unit dans un mystérieux cocon intemporel.
Ma respiration me transporte sur les ailes du vent vers un autre lieu. En équilibre sur un tronc d'arbre barrant une rivière agitée, une ourse Kermode attrape au vol dans sa gueule un poisson pour nourrir son ourson. Je sens la fraîcheur de l'eau, l'odeur du poisson qui se débat. Me voilà bouche bée devant ce festin partagé.
Autre lieu. La pluie commence à tomber. Les battements de mon cœur suivent l'harmonie des gouttes d'eau qui frappent les feuilles d'arbres comme des peaux de tambours. Un jeune orang-outang saisit une feuille de bananier et la place au-dessus de sa tête pour se protéger. Nous sommes si semblables... Je suis toujours épatée par l'ingéniosité de la Nature.
Autre endroit. Le désert glisse sur l'horizon. Le soleil se lève, emportant avec lui une montgolfière qui survole un troupeau de chameaux. Le rougeoiement de ses rayons naissants me pénètre comme un feu qui s'éveille. La sécheresse ralentit mon souffle. Me voici interloquée par la beauté d'un spectacle millénaire, autrefois réservé aux faucons, renards du désert et autres serpents.
Je m'approche d'un volcan, crachant sa furie sur la terre calcinée. La lave s'étend, s'étire, s'écoule, jusqu'à rejoindre la mer. Je ressens la vapeur d'eau sur ma peau. Je reste interdite devant le spectacle hypnotique de ces roches en mouvement qui viennent s'abreuver à la source de la Vie, éteignant la fusion de leur colère dans l'eau bleue qui les apaise.
Je survole l'océan, caressant sa surface de ma main devenue vent. Je suis médusée par sa mouvante beauté, que le ciel colore selon ses humeurs.
Je croise un groupe de baleines. Elles sont venues chanter les nouvelles du cœur de l'Océan à d'autres baleines. Leurs cousines intègreront en quelques jours les nouvelles mélodies transmises, qu'elles transporteront à leur tour au gré des courants. Je plonge avec l'une d'entre elles. Mon esprit ne subit pas la pression des trois mille mètres de profondeur, que mes poumons ne supporteraient pas. Nos corps glissent dans un gracieux ballet hors du temps et suivent les courants marins qui influencent toute la planète. Nous dansons dans les tourbillons qui sillonnent la surface de toutes les mers, réseau veineux de notre globe terrestre. Nous remontons vers la surface, entraînant avec nous les précieux nutriments de la Vie. La conteuse maritime continue son parcours, me saluant dans une gerbe d'écume.
Un oiseau vient de se poser sur la rambarde de ma terrasse. Je sens sa présence. Le bruissement de ses ailes m'a sortie de mon engourdissement. Je sais qu'il me regarde. J'entrouvre mes paupières. C'est une pie. Elle tourne sa tête, pleine de curiosité. Notre attrait se rejoint. Je ne bouge pas, observant le reflet de ses plumes. Elle sautille le long de la rambarde, s'arrête un instant puis disparaît en direction du toit, décidant brutalement de me voler sa précieuse compagnie.
Je me redresse et m'assieds un instant. Une abeille vient butiner les premières fleurs que mes bacs, amaigris par l'hiver, lui offrent. Je suis étourdie par tant de grâce et de douceur. Entre le bac et le mur, une araignée a tissé sa toile, où la nuit est venue déposer ses rêves.
Je suis fascinée par cette Nature à laquelle j'appartiens. Je me lève et j'amplifie une dernière respiration avant de rentrer. La journée va être belle. Ses ondes me portent déjà. Elles entrent en moi, me nourrissent puis se transforment avant que je ne les projette vers ceux que j'aime, créant à mon tour un tourbillon d'énergie, un lien de Vie.
Même à distance, je sais qu'ils le recevront.
Sylveen S. Simon - 27 avril 2020
Éclats de printemps : « Fascination » - 1 240 mots