Textes poétiques

Jardin d'épines

Photographie Sylveen S. Simon


~~

La sombre nuit s'efface, dépliant l'éventail de ses aubes sous l'horizon du matin. Prêt à voir naître un nouveau jour, le ciel s'éclaircit lentement, bleuissant un univers sans cesse animé. L'aurore commence à poindre derrière les immeubles de la ville encore endormie. Le petit matin allume doucement la toile du jour, palette rosée s'extirpant des draps embrumés de l'aurore.

Soudain, dans une explosion de lumière jaune-orangé, le bord du disque solaire glisse sur l'horizon, entamant sa course lumineuse quotidienne.

Sur une terrasse située au cœur de la ville nanterrienne, la nature végétale, parfaitement alignée dans des pots trop bien rangés, imagine ses racines parcourant librement une terre sauvage et préservée. Dès les premières lueurs du jour, les roses et les cactus se menacent déjà de leurs épines dans un muet face à face digne d'une scène de Far West.

Cet épineux jardin, que les fleurs adoucissent de senteurs et de couleurs savamment déployées, concoure en silence pour l'aiguille parfaite, celle qui parviendra à transpercer le doigt imprudent de l'humaine qui les a plantées là !

Le vent, toujours moqueur à cette heure, joue entre leurs épines et s'en amuse en persiflant. Il souffle sur leurs faibles défenses comme si elles étaient de paille et leur rappelle au passage combien leur devenir dépend de l'humaine en question, et qu'à trop vouloir la blesser, ils pourraient fort à propos se retrouver hors de leurs pots...

Le vent s'en va, les abandonnant à leurs pensées aiguisées comme autant de lames de vengeance.

Le soleil, depuis son point culminant, les regarde et leur sourit, leur précisant que l'humaine qui prend soin d'eux autant qu'elle le peut pourrait fort bien changer d'avis sur leur position privilégiée et les reléguer, après une dernière estocade, à l'ombre d'une cour sans vue sur l'extérieur.

Ecrasés par l'autorité imposée par sa chaude présence, les épineux se calment enfin et se laissent bercer par cette belle journée d'été. Butineuses et araignées viennent leur rendre visite, tandis que les fourmis s'activent à leurs pieds et le long de leurs tiges, évitant soigneusement de croiser leurs épines.

Les heures s'allongent puis l'après-midi décline ses premières ombres. L'humaine s'approche et s'extasie devant leur beauté. La fin du jour est proche. Comme d'habitude, elle leur apporte l'eau nécessaire à leur survie ainsi que toute son attention, dans un langage d'amour qui leur est étranger. Mais ils le ressentent à leur façon et décident pour aujourd'hui de remettre à plus tard leurs belliqueuses actions.

L'éventail de la nuit déplie son crépuscule, libérant les étoiles des replis du cosmos. La lune les accompagne, réveillant un public entièrement acquis au sombre éclat de leur vie nocturne, qui scintille tel un coffret de velours noir piqueté de sequins.

Les mouches sont endormies, tandis que les chouettes débutent leur chasse, poussant des hululements qui glacent d'effroi les mulots qui se promènent encore.

Le cycle immuable de la vie sera bientôt complété, sans aucune hâte, avant de recommencer demain, avec pour seul changement la pluie invitée au grand bal des nuages.

Le jardin d'épines continue de croître, sous le regard bienveillant de la Vie, et s'attarde encore un peu pour profiter du spectacle qui luit.

~~ 

Sylveen S. Simon - Ecriture poétique - 04 juillet 2020