Textes poétiques
L'été indien
Comme chaque année, voici revenue cette magnifique période, qui permet à la forêt boréale québécoise de se colorer de magnifiques teintes orangées et d'offrir à nos yeux un patchwork allant du vert le plus profond à l'or le plus éclatant, en passant par une multitude de rouges chaleureux.
Le redoux rallonge la durée de vie des feuilles, tandis que le froid qui s'installe lentement ramène les premières gelées. Le jour est doux mais le soir est froid. L'odeur de l'humus est marquée par cette bataille que l'hiver finira par gagner, étouffant dans son manteau neigeux bruits et odeurs et masquant de blanc la nature endormie.
J'aime particulièrement cette période. Elle me rappelle mes premiers jeux avec mes amis, lorsque j'étais encore enfant. Nous pouvions alors courir sans retenue, dans une nature sauvage qui nous accueillait et que l'on respectait depuis le plus jeune arbre au plus fier torrent. Au plus haut du ciel, l'aigle nous accompagnait, surveillant la loutre du coin de l'œil qui continuait son œuvre.
Tout caillou avait une valeur à mes yeux, car je voyais en chaque objet la beauté. Si j'enlevais une pierre à ma mère, je lui offrais autre chose en échange. Je préservais ainsi le cycle de la vie, animée comme inanimée.
Au XIXè siècle, un grand chef indien nommé Astoxkomi ou Isapo-Muxika signifiant grand-pied-des-Corbeaux en pied-noir (renommé Crowfoot par les envahisseurs blancs, que les plus mauvais esprits avaient guidés jusqu'à nous), avait dit ceci :
« Qu'est-ce que la vie ? C'est l'éclat d'une luciole dans la nuit. C'est le souffle d'un bison en hiver. C'est la petite ombre qui court dans l'herbe et se perd au coucher du soleil. »
Il en était de même de ma vision de la vie. Fragile et éphémère. Que l'on ne peut savourer qu'en un endroit paisible.
J'entends le bruit des feuilles qui se déroulent au printemps. J'entends le froissement des ailes des papillons qui s'ouvrent à la vie, s'extirpant de leur cocon pour sécher au soleil puis s'envoler pour vivre leur courte vie. J'entends le chant des grenouilles autour de l'étang la nuit, appelant la Lune à leurs vœux.
Je vois l'âme pure des personnes qui m'entourent. Je vois dans leur œil-miroir la force de leurs ancêtres, transmise de génération en génération. J'observe l'animal qui m'observe à son tour, car nous sommes pareils et un jour nous avons été l'autre et bientôt, nous le serons à nouveau. Au chant des âmes, nous nous retrouverons.
L'air est précieux. Nous le partageons tous dans un même souffle : le loup, l'arbre et la femme ; l'ours, le ruisseau et l'homme ; l'aigle, la fleur et l'enfant. L'air est notre inspiration de vie, jusqu'à notre dernière expiration. Comme tout indien, j'aime le son du vent. Il me parle. Tantôt doux, portant le parfum d'un pin ; tantôt puissant comme une flèche qui s'élance dans la plaine. La pluie vient le laver, alors il se fâche et se met à courir lui aussi pour se sécher.
Nous avons maintes fois expliqué, patiemment. Mais face à un peuple sourd qui ne voulait pas entendre, notre peuple s'en est allé, non sans combattre fièrement. Il a, en apparence en tout cas, quitté les lieux. L'homme blanc se croit seul dans sa ville, ses rues trop éclairées trahissant sa peur de la nuit. Il n'entend rien ni ne comprend cette nature qu'il dit sauvage. Il n'écoute plus, ne voit plus. Son cœur s'est refermé sur lui-même. Son âme a perdu le contact avec notre Mère.
Mais je suis là. Mes ancêtres sont près de moi. Nous ne sommes jamais seuls, même lorsque nous rejoignons l'espace inanimé. Les âmes de ce qu'ils nomment les bêtes sont là également. Nous ne sommes pas perdus. Nous observons. Nous savons que chacun rejoindra le cercle. Mes ancêtres dansaient sur un chant traditionnel qui disait :
« Qu'importe les hommes qui passent, l'Esprit n'a qu'à
souffler sur eux et ils ne seront plus.
Alors, les fils de la Terre reviendront et les temps passés redeviendront
nouveaux.
Qu'importe les villes construites, les cités hautaines, les inventions des hommes
et leurs armes terribles ; elles finiront en poussière et la Terre
reprendra sa place.
Car la Mère Nature est toute-puissante, ayant pour elle l'éternité.
Les ruines des civilisations sont légion et se confondent avec la Terre éternellement
vierge. »
Mon âme profite de l'été indien pour parcourir les étendues sauvages qui deviennent de plus en plus petites. Mon esprit s'envole avec mon ami ailé. Je découvre les horreurs des hommes qui marquent la Mère Nature au fer rouge, telle une bête sauvage qu'ils souhaitent dompter ou détruire. Je souffre. Ils n'ont toujours pas compris... voilà des siècles qu'ils scient la branche sur laquelle ils sont assis, qu'ils polluent ce qui les maintient en vie. Imposent aux autres leur irrespect total et leur mépris de la vie.
Mais bientôt, je reviendrai... Le chant des âmes m'appellera pour que je retrouve la Terre animée. Alors mon âme éveillée tentera à nouveau d'éclairer leur chemin. Vivre près de la Nature n'est pas vivre dans l'obscurité. Le Grand Esprit qui nous anime nous insuffle une foi bien plus forte que celle de ceux qui nous traitaient de païens. Je les guiderai pour qu'ils s'en rapprochent, au travers de toutes choses. Je leur apprendrai ce que les arbres m'ont appris. J'ouvrirai leurs yeux pour qu'ils recouvrent la vue de la beauté de Mère Nature.
Encore une fois, l'été indien m'a transportée sur cette Terre que l'on partage. Tous.
Le silence m'enveloppe, équilibre absolu du corps, de l'esprit et de l'âme.
Je suis à nouveau inébranlable devant les tempêtes de l'existence. Ma souffrance a disparu.
Ma méditation me montre l'arbre ; aucune de ses
feuilles ne bouge. Seul mon souffle les anime.
Mon recueillement me montre le lac ; aucune ride à sa surface. Seul mon
souffle lui apporte le frisson de la vie éternelle.
Le silence est le Grand Mystère, la Voix du Grand Esprit.
« Mais quels sont les fruits du silence ? » demande l'enfant.
Le silence est la pierre angulaire de ta vie. Il te permet de te ressourcer pour mieux comprendre et affronter. De rester fort et plein de volonté, en ayant confiance en toi. De rester à l'écoute et plein de respect. De maîtriser ton courage autant que ta patience. De rester digne dans l'endurance. D'entendre la Voix du Grand Esprit qui t'apportera la sagesse et te permettra de marcher dans la beauté de tout ce qui t'entoure. De te rappeler enfin que Ses leçons sont dans chaque feuille et chaque rocher, prêtes à combattre ton plus grand ennemi : toi-même.
Sylveen S. Simon - Fragments d'automne - l'été indien
(septembre 2019)