Anecdote

L'orage au camping

Pour mon frère.

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Nous revoilà au camping de Rochefort-sur-Loire en Anjou. A l'époque, nous ne parlions pas encore de réchauffement climatique ni de dérèglement des saisons, même si les paysans du coin râlaient déjà en regardant l'épaisseur des peaux d'oignons ou la hauteur des tournesols.

Je ne saurais plus dire l'année exacte, mais celle-ci se situe entre 1970 et 1973. Cette année-là, donc, nous subissions sur toute la France de violents orages dévastateurs.
Et en camping comme en montagne, ce type d'événement, on s'en souvient très bien !

Mais ce n'est pas tant l'épisode orageux qui m'a marquée... je vous laisse découvrir la suite.

Nous remontions la rue du pont des fées à Baugé. Le ciel ressemblait aux ardoises des clochers tors des campagnes angevines.
Malgré le temps qui se couvrait et se faisait lourd, affolant les hirondelles, notre père souhaitait encore nous faire visiter un site avant de rentrer. Il s'agissait, au sud-ouest de Baugé, de l'église Saint-Symphorien du Vieil-Baugé, dont l'inclinaison étonnante de la flèche fait toujours beaucoup parler. 

Mon imagination déjà très fertile, me faisait entrevoir çà et là de petites fées espiègles, tourbillonnant autour de la flèche, balançant des nuées d'étoiles depuis leurs baguettes magiques, pour la protéger de petits démons bien décidés à lui faire prendre cette forme étrange.

Les rues étaient désertes. Quelques pigeons s'envolaient entre les bâtiments, comme pour narguer le coq-girouette planté au sommet, symbole du Christ plein de force face aux dangers et aux péchés du monde. 

Une fois la visite terminée, nous reprîmes la voiture. Le tonnerre commençait à rouler entre les coteaux viticoles. Mon père conduisait sereinement, comme à son habitude, pour nous ramener sains et saufs au terrain de camping. 

En cette fin d'après-midi, les derniers enfants quittaient la piscine avec leurs parents. Si leur journée avait été remplie de multiples jeux d'eau, la nôtre nous avait enrichis de bien des manières : images gravées dans notre mémoire de lieux insolites et de visages ridés que les années courbaient vers le sol, sons de cloches mêlés de légendes et d'histoires racontées par mon père, moments passés en famille à la découverte de cette belle région de France.

Nous entrâmes sous la tente. Bien qu'immense espace prévu pour une famille de cinq personnes, celle-ci nous apparaissait relativement petite au regard des étendues que nous avions visitées dans la journée. L'auvent, ouvert sur la nature, offrait une ombre bienvenue lorsque le soleil tapait fort. Pour l'heure, la chaleur étouffante nous fît nous asseoir autour de la petite table extérieure, où ma mère venait de nous servir de l'eau fraîche accompagnée d'un sirop de menthe et de glaçons.

Mon père commença à s'activer dehors. Très à l'aise dans la nature, il était notre « Mc Gyver » à nous !
Il nous a appris tant de choses... Depuis le barbecue à alimenter malgré la pluie jusqu'à la bonne implantation d'une toile de tente, en passant par les astuces pour se repérer en randonnées, les choses à faire et à ne pas faire dans la nature, etc. C'est sans doute grâce à cela aussi que j'aime me promener, confiante tout en restant attentive à mon environnement pour ne courir aucun risque.

Mon frère et moi rejoignîmes notre père pour voir ce qu'il faisait. Mon frère se retrouva presque aussitôt avec une sorte de petite binette dans les mains pour approfondir encore un peu la petite tranchée que mon père avait tracée dès l'installation de la tente. Régulièrement, il fallait vérifier en effet que celle-ci ne soit pas obstruée, car elle garantissait le bon écoulement des eaux de pluies qui pouvaient être extrêmement soudaines et qui, gonflées par les orages, auraient eu vite fait d'envahir la toile de tente et d'inonder tout ce qui s'y trouvait.

Pendant ce temps-là, mon père installa sur chaque piquet du toit de la tente une grosse pomme de terre, non pas pour éviter que l'on soit foudroyés, même s'il valait mieux ne pas toucher les piquets en métal durant un orage, mais parce que ça rassurait ma mère et ma sœur. Celles-ci étant terrorisées par la foudre, mon père leur avait en effet raconté que planter une grosse pomme de terre dans les piquets tentait moins la foudre de tomber dessus et qu'elles pouvaient ainsi dormir tranquille dans notre abri familial de fortune.

La nuit tombait déjà. De grosses gouttes commencèrent à marteler le sol et la tente. Après avoir recouvert la voiture d'une grosse toile, fixée par des cordes et des tendeurs, mon père rentra le dernier, déjà à moitié trempé par cette pluie qui s'annonçait violente. Le sol tremblait aux grondements du tonnerre qui se rapprochait. Par moments, Poupette, notre petite chienne, étouffait de légers grognements, comme pour signifier un danger.

Mon père referma la porte plastifiée de la tente, tout en arrondi, et fixa un piquet dans la fermeture éclair. Puis l'orage éclata. Violent. Ma sœur, toujours tremblante, n'arrivait pas à dormir. Étonnamment, je n'ai jamais eu peur de l'orage, sans doute parce que je me sentais totalement en confiance dans ce lieu que mon père avait choisi et protégé de ses astuces et autres grigris.

Je m'endormis, bercée par la musique de la pluie, Poupette enroulée contre mes jambes.

Le lendemain matin, le chant des oiseaux nous réveilla. La fin du monde avait passé son tour. A l'entrée du terrain de camping, des dégâts marquaient cependant la nuit agitée vécue par les quelques campeurs qui n'avaient pas forcément anticipé l'événement. Nous nous installâmes sous l'auvent pour prendre notre petit-déjeuner. Quelques instants plus tard, les parisiens non loin de nous émergèrent de leur tente où tout était trempé. La femme, blonde comme les blés environnants, sortit en maugréant, et s'arrêta, bouche ouverte, le regard fixé sur notre tente.

« Chéri ! Chéri viens voir ! » s'écria-t-elle. Son mari sortit à son tour, les pieds recouverts de boue.
« Regarde ! Il a plu des patates ! »

Nous partîmes dans un grand éclat de rire qui figèrent les « parigots, tête de veau » comme disait mon père. La parigote ferma son bec et rentra, offusquée, dans ce qui ressemblait à un nid dévasté, mouillé et balayé par les vents d'une tempête incomprise, bien loin d'être anticipée de quelque manière que ce soit.

Le lendemain, les parisiens avaient quitté le camp. Encore aujourd'hui, je pense vraiment que certaines personnes sont faites pour la vie en pleine nature et que beaucoup d'autres devraient s'en abstenir. Jamais nous n'aurions laissé le moindre papier ou bouteille après un pique-nique, ou déclenché un feu dans une zone quelle qu'elle soit. Et quand je vois aujourd'hui l'actualité qui nous présente les tonnes de déchets qui se baladent un peu partout, jusqu'en mer, les incendies provoqués par l'inconscience ou la folie, je suis dégoûtée par ce manque de respect de la nature, par cette absence de civisme et d'éducation qui nous jettent, tous autant que nous sommes, sur les routes de notre perte.

J'espère que cette anecdote vous aura dépaysés et fait passer un bon moment.
Et n'oubliez pas : vos vacances et autres promenades se doivent d'être dans un respect total de votre environnement. Si vous êtes plus comme ma mère ou ma sœur, choisissez l'hôtel pour être plus zen. Faites passer le message ! Merci et bel été à tous.

Sylveen S. Simon - Juin 2019
Fragment de vie - Anecdote avec mon père