Les Contes de Djourah

Chapitre 10

A l'extérieur, les festivités avaient commencé. Les nanouvôthiens faisaient connaissance avec les anghônariens et tout se passait bien. Les enfants jouaient entre eux et leurs aînés partageaient recettes de cuisine et autres astuces. Ils levaient ensemble le voile sur leurs vies respectives, leurs coutumes et leurs planètes.

Djourmagh conduisit Khal'mah vers un second couloir. Au pied de l'escalier central, Khal'mah fit une pause, admirant le plafond, les moulures, les tapisseries, les statues.

- Tout est tellement beau ici... » souffla-t-elle.

- C'est votre présence qui rend ce lieu encore plus beau qu'il ne l'est. » répondit Djourmagh.

Khal'mah rougit légèrement. Ils empruntèrent le couloir qui les mena à une dernière salle où deux esprits des anciens flottaient doucement au milieu de la pièce. Une dizaine de lits avaient été répartis dans la grande salle. Khal'mah fit rapidement le tour et s'arrêta sur l'avant-dernier lit où son père était couché. Elle se précipita pour l'embrasser et sortit à la hâte ses instruments médicaux, qui lui donnèrent instantanément un rapport de la situation. Son état était plus qu'alarmant. Son père était mourant. Il lui fallait agir vite et bien. Elle se concentra et commença à réaliser ce qu'elle savait le mieux faire : soigner.

Djourmagh fut heureux de voir que le père de Khal'mah n'était pas parmi les morts. Cependant, son pronostic vital était très engagé et sa survie plus que compromise. Il lui proposa d'aller chercher Ozmalött et Hôlyana pour le cas où leur aide pourrait être complémentaire. Sans se retourner, Khal'mah acquiesça, concentrée sur chacun de ses gestes.

Quelques instants plus tard, Djourmagh ramenait avec lui Ozmalött et Hôlyana. Kourôth s'était joint à eux et faisait déjà l'inventaire des différentes potions qu'il avait avec lui. Entouré de tant de soins et d'amour, le père de Khal'mah revint bientôt à un état stable, ce qui soulagea tout le monde. Ozmalött se releva péniblement. Il semblait épuisé.

- Mes enfants, je vous invite à présent à aller nous restaurer et à prendre du repos. Khal'mah, l'état de ton père est stable à présent et nous allons le laisser se reposer également. Dormir lui permettra de retrouver plus rapidement ses forces. Tous les blessés de cette salle méritent une attention particulière au regard de leur état. C'est pourquoi les esprits des anciens vont se charger de veiller sur eux toute la nuit. Tu peux être tranquille Khal'mah.

- Très bien. Vous avez raison. Je pense que nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir. Attendons demain pour voir ce qu'il nous apportera. Chez nous, nous avons l'habitude de dire que la vie est une balance dont les plateaux sont le bonheur et la tristesse et que ce sont nos actes quotidiens qui les équilibrent. Aujourd'hui fut un jour d'équilibre où la tristesse de voir mon père dans ce lit a été atténuée par le bonheur d'apporter mon aide et de faire votre connaissance.

Le regard de Khal'mah plongea dans celui de Djourmagh qui buvait ses paroles comme du lait adouci de miel. Il s'approcha et prit dans ses mains celles de Khal'mah.

- Aujourd'hui fut également un jour d'équilibre pour moi, car depuis que tu es là, tout me semble plus léger, plus beau, plus... lumineux !

Kourôth toussota et invita tout le monde à descendre, comme l'avait suggéré Ozmalött, que cette situation amoureuse intriguait au plus haut point. Il fallait qu'il en réfère aux anciens.

- Mes enfants, partez devant. Je vais passer par mes appartements et je vous rejoindrai un peu plus tard. Ne m'attendez pas pour dîner.

- Très bien Ozmalött, à plus tard.

Ozmalött invita l'esprit d'un ancien dans ses appartements afin d'établir un contact moins épuisant pour lui avec les trois chênes. L'esprit s'unit à celui d'Ozmalött, qui se retrouva dans la grotte où Làidir avait choisi la voie qui s'ouvrait désormais à eux.

Ozmalött leur exposa la situation et ses doutes quant à l'avenir :

- Khal'mah et Djourmagh semblent vouloir tisser des liens amoureux. Mais je suis dubitatif quant aux capacités que leur sang se mêle. Et je pense qu'ils ne seront pas les seuls à éprouver des sentiments. Il est vrai que tout semble se passer pour le mieux ici, mais le doute a assombri mon cœur. Se peut-il que les enfants d'Anghônara épousent un jour ceux de Nanouvôth, et que des enfants métisses naissent de leur union ? Ne laissons-nous pas là une porte ouverte sur de nouvelles difficultés pour nos deux peuples ? Mon esprit est-il en train de se fermer ? Conseillez-moi !

« Ozmalött, c'est ta grande sagesse qui t'a guidée vers nous. Nos conseils ne pourront qu'apaiser ton cœur car tu sais déjà que le choix de Làidir ouvrira de nouveaux horizons, non pas pour deux peuples, mais pour un seul. Un peuple nouveau. Il est temps pour nous de te donner accès à l'Histoire des anciens de la première ère.

Au commencement, nous n'étions qu'un essaim perdu dans l'espace. Nous nous nommions Nanoviridae. Nous étions répartis en deux genres. Le premier s'installa sur Nanouvôth, le second sur Anghônara. Une fois établis, les deux genres commencèrent leur réplication. Notre génome étant composé de douze mille segments circulaires très perfectionnés, chacun pourvu d'une séquence de neuf nucléotides, notre transformation fut assez rapide. Chaque planète nous apporta une base, avec de légères différences, qui s'accentuèrent au fil du temps. Neuf cent cinquante ans plus tard, les Nanouvôthiens et les Anghônariens ressemblaient, à peu de choses près, à ce que tu connais aujourd'hui.

La légende du Nano Un nous avait conté que notre évolution conduirait à un être parfait, dont la puissance et l'intelligence n'auraient d'égal que la sagesse et la bonté.

Nous étions donc prêts à devenir cet être parfait et, chacun sur notre planète, avons évolué dans le sens que nous pensions être le meilleur pour y parvenir, sans vouloir intégrer ce sur quoi l'autre avait avancé. Sans partage, nos évolutions furent donc puériles.

Les enfants métisses qui naîtront de l'union des nanouvôthiens et des anghônariens sont l'avenir. Laisse-nous te laisser entrevoir à quoi ressembleront ces pures merveilles... »

Des images apparurent dans l'esprit d'Ozmalött. Le peuple qu'il y découvrait, au travers de l'esprit des anciens, était tout simplement parfait. Une larme roula le long de sa joue. Ozmalött ferma les yeux.

- C'est merveilleux. », dit Ozmalött. J'ai cependant une dernière question à vous soumettre : lorsque j'étais sur Anghônara, le Commodore a mis fin à ses jours, se privant par ce geste insensé de son ascension. Pourquoi d'après-vous ?

Cette question interpela les anciens. Les trois chênes s'agitèrent un instant. Ozmalött éprouva un nouveau sentiment d'inquiétude que les anciens tentèrent bien vite de dissiper.

« Ozmalött, nous comprenons ton inquiétude. Nous sommes nous-mêmes, pour le moment, incapables de comprendre ce geste. Sans doute les prochains anghônariens qui nous rejoindront pourront-ils nous en apprendre un peu plus sur le Commodore. Pour l'heure, réjouissons-nous plutôt de cette nouvelle voie qui s'ouvre à nous. »

- Très bien. Je...

Ozmalött fut soudain pris d'un vertige et se retrouva au sol. Allongé sur le dos, son esprit regardait le plafond de la grotte. Les parois scintillaient, comme si elles étaient constellées de cristaux d'ambre blanc. Son esprit se rapprocha de la voûte. Il ne s'agissait pas de cristaux mais d'étoiles. Ozmalött plongea dans la nuit de l'Univers.

Son esprit naviguait entre les étoiles. Puis tout s'accéléra. Il se retrouva aux confins du cosmos où l'attendait une poignée de Nanoviridae. Ils le conduisirent vers un amas au centre duquel se trouvait Nano Un.

Ozmalött n'arrivait pas à définir les contours de l'être qui se tenait devant lui. Il était comme un brouillard semblant vibrer au rythme de pulsions lumineuses qui émanaient de son centre. Nano Un l'accueillit et recueillit tout le savoir du vieil homme.

« Cela faisait bien longtemps que je n'avais reçu la visite d'un messager. Tu m'as apporté tant de choses... Celles-ci me font comprendre que le chemin sera encore long. Mais vous êtes sur la bonne voie. Tu vas pouvoir rejoindre les trois précédents messagers afin de les aider dans leur tâche. Tu deviendras bientôt le quatrième chêne. Je te remercie, Ozmalött, pour cette grande sagesse dont tu vas pouvoir faire profiter les Nanoughônariens. Tel est le nom de notre nouveau peuple. Son évolution conduira à l'être parfait que l'Univers attend. Va, Ozmalött... Ouvre-leur la voie. »

Ozmalött rouvrit les yeux. Ses bras se ramifièrent en branches. Ses pieds prirent racine dans le sol de la grotte. Son savoir, sa sagesse, ses pensées... tout fut transféré dans une nuée de bulles qui formèrent son feuillage. Il était à présent le quatrième chêne. Les trois autres l'accueillirent et commencèrent à échanger avec lui sur la voie de l'évolution qui attendait désormais les Nanoughônariens.

Ozmalött aurait souhaité dire au revoir à tous ceux qu'il aimait sur Nanouvôth. Les trois chênes lui dirent que cela était possible. La bulle qui avait accompagné Ozmalött pourrait être son messager auprès de Làidir. Mais il fallait faire vite car bientôt, toutes les bulles devraient quitter Nanouvôth et Anghônara.

« Pourquoi ne pas profiter du fait que des bulles se trouvent sur les deux planètes pour ouvrir la voie aux futurs Nanoughônariens ? Nous pourrions ainsi faire le lien entre les deux mondes pour que leurs enfants puissent se rapprocher plus facilement... Nano Un m'a demandé de leur ouvrir la voie... Ensemble, nous pourrons y arriver. »

Les trois chênes se consultèrent et validèrent la proposition d'Ozmalött. La voie était ouverte.

Sylveen S. Simon