Les Contes de Djourah

Chapitre 2

Azmera se dirigea d'un pas décidé vers la salle du Conseil, traversant rapidement les couloirs recouverts de tapisseries. Chaque fois qu'elle passait devant, Azmera ne pouvait s'empêcher de les admirer. Chacune évoquait, de saison en saison, les cérémonies de l'ambre.

La cérémonie de l'été célèbre l'ambre jaune, dont l'élément est le feu. L'ambre jaune dégage une douce chaleur et possède des propriétés d'une grande force pour qui sait l'exploiter. Il est très utilisé par les enchanteurs, notamment pour la défense de personnes ou de maisons.

L'ambre rouge est célébré en automne. Son élément est la terre. Il se dégage de lui une énergie vitale qui permet au sol de se régénérer. Il est également très apprécié des envoûteuses qui fabriquent des décoctions, des potions et divers philtres pour faciliter la guérison.

Vient ensuite la cérémonie d'hiver pour honorer l'ambre bleu, dont l'élément est l'eau, et qui dégage une énergie vibratoire très appréciée, notamment pour favoriser les naissances difficiles et transmettre force et santé aux nouveau-nés.

Puis arrive la cérémonie de printemps où l'ambre vert est mis à l'honneur. Son élément végétal dégage une énergie vitale qui favorise la repousse et le renouveau.

Enfin, le jour du Grand Équinoxe, l'ambre blanc ou cristal d'esprit est accueilli. Extrêmement rare, son élément est l'air. Il est réservé aux magiciens de premier niveau, pour animer les cérémonies de transfert de l'âme. La tapisserie était magnifique, emprunte d'une magie millénaire. On y voyait un cercle de magiciens activer chacun un cristal d'esprit. Au centre du cercle, un nanouvôthien se tenait debout. L'ambre blanc transformait peu à peu son corps en particules de lumière. Ses bras levés comme deux ailes immenses semblaient s'évaporer vers une autre dimension. Azmera s'arrêta un court instant afin de l'admirer quelques secondes. Elle avait eu recours quatre jours plus tôt à la cérémonie de transfert de l'âme pour son fils Làidir, afin qu'il puisse trouver de l'aide auprès des patriarches de l'ancien monde. Son retour se faisait attendre et Azmera commençait à s'en inquiéter.

Azmera soupira et emprunta le couloir menant à l'escalier central. Ses pensées se bousculaient. Avec la guerre qui approchait, la prochaine cérémonie risquait fort d'être compromise. Et bien pire encore : les prochaines récoltes d'ambre pourraient ne pas avoir lieu, mettant en péril la survie même de Nanouvôth. Ou du moins, ce qu'il restait encore de libre et de vivant sur cette planète abandonnée de tous.

Et pourtant, Nanouvôth était un monde magnifique, qui avait su repousser durant des siècles les ennemis et les pilleurs. Mais ceux-ci étaient de plus en plus nombreux et de plus en plus difficiles à refouler. Les pays étaient tombés les uns après les autres, laissant seul face à son destin le pays des Monts Verdoyants.

La ville de Bhaile restait le plus beau joyau et le meilleur point de défense de la province de Djourah. Le pays des Monts Verdoyants était chargé d'histoire, ses forces ayant toujours réussi jusque-là à vaincre bien des envahisseurs. La province de Djourah avait fait sa renommée auprès de tous les enchanteurs et envoûteuses de renom. On y venait de partout depuis des siècles pour les cérémonies de l'ambre et pour le marché aux charmes.

Azmera monta l'escalier et s'arrêta un instant pour reprendre son souffle. Cela faisait plusieurs nuits qu'elle dormait peu, mais Bhaile n'allait pas tarder à être assiégée et il fallait organiser sa défense. Malgré l'épuisement, Azmera restait présente et dynamique afin de donner l'exemple.

Ses longs cheveux bruns, grisonnants sur les tempes, encadraient son visage soucieux mais peu marqué par ses cinquante-huit ans. Grande et élancée, elle avait cette prestance commune à toutes les femmes de sa famille. Relevant le menton, elle parcourut les derniers mètres qui la séparaient de la salle du Conseil.

La porte de la salle était ouverte. Ses chefs de guerre l'y attendaient déjà.

Le bruit de ses bottes sur les dalles de pierre leur avait annoncé son arrivée. Azmera entra et accueillit avec bienveillance le regard fier de ses conseillers. Ils comptaient sur elle autant qu'elle s'appuyait sur eux. Le mur du fond de la salle était entièrement recouvert de tapisseries qui retraçaient les hauts faits de Bhaile et le jour de la Grande Union, qui remontait maintenant à près de cinq cents ans. On y voyait les patriarches de l'ancien monde recouvrir Nanouvôth de milliers de bulles, les guerriers de Djourah mettre en déroute les derniers ennemis, puis Bhaile en fête pour célébrer le jour de la Grande Union.

Azmera prit place autour de la table. Ses conseillers s'assirent à leur tour. Azmera les interrogea :

- Djaïr, Quelles sont les nouvelles des veilleurs de Djourah ?

- L'ennemi progresse. Nos factions peinent à le retarder. Les Prédateurs sont puissants, entraînés à la guerre et lourdement armés. Les barrières de cristaux ne tiendront plus longtemps. Nos réserves d'ambre s'épuisent et les magiciens n'ont plus suffisamment de ressources pour produire d'autres cristaux de protection.

- Djourmagh, Combien de cercles de protection avons-nous encore à disposition ?

- Un seul. Et il est à moins de huit cent mètres des remparts de Bhaile.

Azmera soupira.

- Les marchands et les fermiers ont-ils pu se mettre à l'abri dans la cité ?

- Oui Azmera. L'ensemble de la population a pu se réfugier au cœur de Bhaile. Les enfants de moins de seize années ont été conduits dans les sous-sols. Quelques envoûteuses veillent sur eux. Tous les habitants de plus de seize ans ont été reçus un à un par les enchanteurs afin de recevoir force et courage. Les plus forts et les plus habiles sont actuellement auprès des forces de défense pour être équipés et préparés à chasser l'ennemi. Les moins préparés à la guerre fournissent repas et munitions pour participer.

- Parfait... Mes amis, je n'ai pour l'heure aucune nouvelle de Làidir. Nous devons nous préparer à combattre sans l'aide des patriarches de l'ancien monde.

Djaïr releva le menton et jeta un regard plein de fierté à Djourmagh.

- Nous gardons confiance Azmera. Nous étions tous consacrés et volontaires, mais ton fils était le meilleur choix. Il a été désigné parmi nous tous. Les magiciens ont choisi la meilleure alternative pour l'avenir de Nanouvôth. Djourmagh et moi pouvons néanmoins le rejoindre si tel est ton désir.

- Non Djaïr. Il reste trop peu d'ambre blanc et les magiciens sont déjà épuisés. Et je ne suis pas certaine qu'il nous reste assez de temps pour votre voyage aller-retour. Nous n'avons plus qu'à espérer que Làidir réussisse. Il est si jeune...

- Làidir fêtera bientôt ses vingt-huit ans et il possède toutes les capacités qui conviennent à cette mission. Nous sommes confiants. Il reviendra à temps pour nous apporter l'aide attendue.

Djourmagh se leva et rapporta un plateau rempli de verres dans lequel miroitait un liquide parfumé aux reflets irisés.

- Portons un toast à sa réussite !

Chacun prit un verre et le leva, se joignant au toast porté avec tant de ferveur.

- A la réussite de Làidir ! » s'exclama Djaïr.

- A la réussite de Làidir ! » répondirent en chœur tous les conseillers.

Chaque conseiller but son verre d'un trait puis le reposa sur le plateau.

- A notre réussite... et à la survie de Nanouvôth. » répondit Azmera avant de vider son verre à son tour. Azmera se dirigea vers la sortie puis se retourna vers ses conseillers.

- Je vous laisse continuer les préparatifs de défense. Djourmagh, Djaïr, suivez-moi.

Azmera conduisit ses deux conseillers jusqu'à la tour de guet ouest où ils retrouvèrent Ozmalött. Il était le magicien de premier niveau le plus compétent que Djourah avait eu l'honneur d'accueillir. Il venait de fêter allègrement ses trois-cent douze ans, un âge plus que vénérable, même pour un magicien. Ses yeux avaient pris l'éclat de l'ambre blanc depuis plus de deux cents ans, signe de sa grande maîtrise de la magie. Nul ne pouvait soutenir son regard sans subir les propriétés du cristal d'esprit, qu'il avait totalement intégré à sa personne.

- Bonjour Azmera, que me vaut le plaisir de votre visite ?

- Bonjour Ozmalött. Je suis venue accompagnée de Djaïr et Djourmagh qui sont, comme vous le savez, mes plus valeureux conseillers et les meilleurs amis de Làidir.

- Valeureux, ... oui, très valeureux en effet. Votre aura est vraiment magnifique, messieurs !

Djaïr et Djourmagh s'inclinèrent pour remercier Ozmalött de son compliment. Il n'en n'existait pas de plus précieux de la part d'un si grand magicien.

- Ozmalött, si j'ai fait venir Djaïr et Djourmagh, c'est parce qu'ils se sont proposés pour rejoindre Làidir, afin de lui prêter main forte pour sa mission auprès des patriarches de l'ancien monde.

- Hmmm, je vois... prêter main forte, hein ? Comme c'est amusant. Il n'est nul besoin de lui prêter main forte. Làidir est suffisamment puissant. Son impatience est plus un handicap. Mais les patriarches de l'ancien monde sauront l'aider à trouver le chemin de l'évolution attendue pour Nanouvôth. Soyez certains qu'avec leur aide, il trouvera la voie qui convient.

Sylveen S. Simon