Les Contes de Djourah
Chapitre 4
Ozmalött prépara quatre verres dans lesquels il versa une très petite quantité d'un liquide jaune citron. Il invita Djaïr et Djourmagh à s'avancer et leur offrit à chacun un verre. Puis il prit les deux autres verres et en tendit un à Azmera.
- Venez donc vous asseoir avec moi. Je vous propose d'aller voir comment nos défenses se débrouillent et comment se portent nos concitoyens. Qu'en pensez-vous ?
- C'est une très bonne idée. » répondit Azmera.
- Parfait ! Alors, buvez...
Chacun but son verre et le reposa sur la petite table basse autour de laquelle ils avaient tous pris place, confortablement assis sur de gros coussins. Ozmalött leur demanda de joindre leurs mains afin de former un cercle soudé par l'âme de chaque participant. Leur esprit commença à se détendre tandis qu'Ozmalött prononçait tout bas d'étranges paroles que personne ne comprit en dehors d'Azmera.
Elle avait en effet été formée à la magie de dixième rang. Autant dire qu'elle connaissait les rudiments du débutant. Cela lui permettait surtout de connaître les avantages et les dangers de la magie, mais aussi de mieux organiser les cérémonies de l'ambre et de comprendre les attentes des vendeurs du marché aux charmes. En aucun cas elle n'aurait été en capacité de lancer le moindre sort, la lignée de sa mère ne comportant aucune envoûteuse.
Cela avait souvent été source de conflit avec sa belle-famille au début de sa relation avec Orgayol, qui devint néanmoins son compagnon et le père de Làidir. Orgayol était pour sa part issu d'une famille totalement composée d'enchanteurs et d'envoûteuses, famille qui avait même eu dans ses rangs un magicien de grand renom.
Orgayol le courageux, comme l'avaient surnommé ses concitoyens, avait préféré devenir Protecteur de Djourah, comme son vénérable aïeul Khâliöt. Et lorsqu'il était décédé six mois plus tôt durant la bataille du col aux quartz, son titre était automatiquement revenu à sa compagne. Azmera devait donc cumuler les deux fonctions, en attendant de pouvoir transmettre son titre de Commandante de Bhaile.
Sur l'invitation d'Ozmalött, Azmera ferma les yeux, aussitôt imitée par Djaïr et Djourmagh.
Leur esprit voyagea jusqu'à l'est des remparts de Bhaile, à la limite du dernier cercle de protection. Azmera repéra aussitôt Hôlyana, la petite amie de Làidir. Sa merveilleuse chevelure rousse était visible de loin. L'esprit d'Azmera s'approcha d'elle. Elle était inquiète de la voir si près du front de bataille.
Hôlyana semblait parler avec véhémence à un homme qui n'était autre que Kourôth, son oncle. Elle parlait de pièges qu'elle pouvait poser afin de contrôler les Prédateurs qui franchiraient le dernier cercle.
- Kourôth, je t'en conjure, j'ai préparé des parfums que j'ai améliorés afin de pouvoir envoûter les Prédateurs et permettre aux enchanteurs de les contrôler par la pensée. Je suis certaine qu'ils sont au point et qu'ils pourraient nous donner un avantage certain !
- Hôlyana, tu n'es qu'apprentie envoûteuse depuis cinq ans, et cela ne fait pas une année que tu étudies les parfums. Leur senteur est certes exceptionnelle et tu as beaucoup de talent, mais je préfèrerais te voir rentrer dans la citadelle. Tu y serais à l'abri.
- A l'abri ? Mais mon oncle, plus personne n'est à l'abri sur Nanouvôth. Nous avons tous un rôle à jouer si nous voulons conserver notre liberté. Laisse-moi jouer le mien ! Si seulement Làidir était là...
- Si Làidir était là, il te dirait de te mettre à l'abri dans la cité ! Les enfants attendent sûrement d'être rassurés. Pourquoi ne vas-tu pas leur raconter de belles histoires pour les aider à rester calmes ? Il faudra également aider à protéger la zone des sous-sols où ils se trouvent. Tes parfums y seront sûrement très appréciés.
Hôlyana soupira. Avec l'aide d'Ozmalött, Azmera frôla l'esprit d'Hôlyana pour lui indiquer d'aller proposer son idée aux enchanteurs qui terminaient la réalisation de toutes sortes de défenses à partir d'ambre jaune. Qui sait, le fait de renforcer les cristaux avec une essence de contrôle pourrait peut-être avoir du bon. Hôlyana sourit et se dirigea vers le cœur de la cité.
Djaïr, Djourmagh, Azmera et Ozmalött firent voyager leur esprit au-delà de la protection du dernier cercle. Non loin, une bataille faisait rage. Djaïr et Djourmagh reconnurent certains de leurs amis qui luttaient sans faiblir, pleins de courage, afin de repousser l'ennemi. Leurs boucliers possédaient tous un cristal de protection en son centre. Cela leur permettait de se protéger plutôt efficacement en temps normal, mais les Prédateurs étaient suréquipés d'armes pernicieuses qui finissaient par détruire immanquablement les cristaux.
Beaucoup finissaient par tomber sous le feu nourri des armes perfectionnées qui leur faisaient face. Les rangs de défense se clairsemaient, laissant aux Prédateurs la possibilité de s'engouffrer parmi eux et de faire encore plus de dégâts dans les lignes des défenseurs de Bhaile.
Ozmalött dirigea l'esprit de ses trois compagnons vers la cité. Celle-ci semblait en ébullition. Chacun travaillait d'arrache-pied à l'élaboration des défenses magiques, ce qui rassura un peu Azmera. Puis Ozmalött dirigea ses compagnons vers les sous-sols de Bhaile où les enfants attendaient sagement en écoutant des histoires racontées par une envoûteuse. Elle y mettait tout son cœur pour bien occuper ces jeunes esprits, afin qu'ils ne paniquent pas.
Ozmalött ramena Djaïr, Djourmagh et Azmera. Lorsqu'ils rouvrirent leurs yeux, ceux-ci étaient remplis de tristesse. Une inquiétude mêlée de colère emplissait leur cœur. Azmera chercha à les réconforter.
- Gardons confiance. Nous aurons sans doute bientôt des nouvelles de Làidir.
- Oui, en espérant qu'elles soient bonnes. » dit Djaïr sur un ton las. Cette virée l'avait totalement accablé.
- J'espère qu'il ramènera avec lui une armée invincible, à la hauteur des contes de Djourah ! » rétorqua Djourmagh sur un ton plein de ferveur.
Ozmalött semblait épuisé. Azmera proposa à Djaïr et Djourmagh de prendre congé. Avant de partir, elle lui posa une dernière question :
- Ozmalött, auriez-vous la possibilité de m'indiquer si, d'une manière ou d'une autre, Làidir sera bientôt de retour ?
- Azmera, je vous promets d'essayer de rentrer en contact avec lui. Mais il faut que je recharge mon cristal d'esprit et cela me prendra plusieurs heures.
- Très bien. Mais reposez-vous avant. Nous avons besoin de vous Ozmalött. Nous verrons tout cela demain.
Azmera regagna ses appartements. Au mur, un immense tableau représentait Orgayol et Làidir enfant. Azmera passait des heures à le regarder lorsqu'elle n'arrivait pas à dormir. Son compagnon lui manquait terriblement. Elle allait se coucher lorsqu'on toqua à sa porte.
- Entrez. » dit-elle doucement.
Hôlyana passa la tête entre les deux portes. Elle avait l'air désolée.
- Azmera, pardonnez-moi pour cette visite tardive...
- Hôlyana, quelle belle surprise ! Entre, je t'en prie.
Hôlyana vint s'asseoir près d'Azmera.
- J'étais inquiète... je venais aux nouvelles. En avez-vous de Làidir ?
- Hélas, toujours pas. Mais Ozmalött va recharger son cristal d'esprit pour tenter d'entrer en contact avec lui demain. Il semblait confiant.
- J'ai senti votre contact tout à l'heure. Sachez que j'ai apporté mon parfum amélioré aux enchanteurs et ceux-ci en étaient ravis. Ils vont préparer des pièges supplémentaires et se tiendront prêts pour le cas où ils pourraient prendre le contrôle d'un Prédateur. Ils pourraient peut-être retourner ses armes contre d'autres Prédateurs...
- Ce serait formidable, en effet. Sans compter que si Làidir revient rapidement avec de l'aide, nous n'en n'aurons peut-être pas besoin, ce qui serait encore mieux. Car une fois la dernière ligne franchie par les Prédateurs, Bhaile sera perdue. Cette citadelle représente tant de choses... Elle reste la dernière gardienne de la magie de Nanouvôth.
- Les Prédateurs ne font guère de prisonniers. Il ne restera peut-être bientôt plus personne pour en parler...
Hôlyana serra Azmera dans ses bras.
- Sois tranquille Hôlyana, je resterai auprès de toi.
Hôlyana éclata en sanglots. Azmera l'étreignit contre son cœur, tout en caressant sa longue chevelure flamboyante. Azmera se laissa aller à cette profonde tendresse qui la caractérisait si bien, puis s'autorisa en silence à son tour à laisser échapper quelques larmes.
Hôlyana finit par s'endormir, épuisée autant par sa journée de travail que par la vague d'émotions qui l'avait submergée.
Azmera la recouvrit d'une couverture et la laissa récupérer. Tout en veillant sur le sommeil de sa protégée, elle songeait aux magnifiques moments que Làidir et Hôlyana auraient pu partager dans un monde en paix. Puis elle sombra enfin dans une courte nuit sans rêves.
Sylveen S. Simon