Les Contes de Djourah
Chapitre 5
Le Prédateur avait un nom : Klauth'k. Et il avait aussi une famille.
Klauth'k se rendit dans la pièce adjacente à la pièce principale afin de se défaire de son armure. Celle-ci était incroyablement légère et pourtant, extrêmement résistante. Mais à partir de quel matériau avait-elle été réalisée ?
L'esprit de Klauth'k lui répondit qu'il s'agissait d'un alliage réalisé à partir de trois composites : des fibres de carbone, des fibres de kevlar et des fibres de verre. Cet amalgame rendait les armures quasi invincibles au combat, hormis contre certaines formes de magies. De plus, les pièces étaient assemblées sur une sorte de cotte de mailles qui favorisait la souplesse mais nécessitait néanmoins de laisser quelques espaces entre les plaques du précieux métal. C'était peut-être là un point de faiblesse à étudier. Afin de les rendre moins visibles, ces interstices étaient totalement teints en noir, tout comme l'armure qui était plongée dans un liquide spécial, lui garantissant une bonne protection thermique et hygrométrique.
Dans chaque bras se cachaient des armes dont les munitions étaient réparties un peu partout. Le plastron et le dos permettaient d'envoyer des nuées de fléchettes mortelles à une vitesse impressionnante.
Klauth'k fit une rapide toilette et se mit à l'aise dans une sorte de longue tunique pourpre d'aspect soyeux. Làidir était très étonné de l'homme qu'il voyait dans le reflet de la glace. En dehors de sa couleur de cheveux d'un bleu azur, rien n'aurait pu le différencier d'un nanouvôthien. Ses yeux noisette brillaient d'intelligence et son sourire indiquait qu'il était très heureux d'être rentré chez lui pour profiter d'un moment partagé avec sa famille. Cette douceur sentimentale tranchait avec sa musculature et les cicatrices qui marquaient son corps.
De retour dans la salle principale, Klauth'k se dirigea vers la table où un repas léger mais très parfumé l'attendait. Visiblement, ses trois enfants avaient déjà mangé et jouaient près de la cheminée où un feu relativement petit mais réconfortant crépitait.
Làidir ressentait le goût des aliments ingurgités par Klauth'k. Sa compagne semblait être bonne cuisinière. Entièrement enveloppée dans un vêtement gris qui la couvrait de la tête aux pieds, Làidir n'aurait su dire à quoi elle ressemblait. Après avoir un peu échangé sur leur journée, chacun se dirigea vers sa couche pour dormir. Klauth'k se glissa près de sa compagne et s'endormit très rapidement, harassé par sa journée.
Quelques heures plus tard, Klauth'k se réveilla, embrassa doucement sa compagne et se prépara à affronter une nouvelle journée d'entraînement. Il avait le cœur lourd de laisser si tôt sa famille et Làidir ressentait parfaitement les sentiments qui animaient le Prédateur. Il aurait aimé pouvoir passer plus de temps avec ses enfants. Il se dirigea aux aurores vers le camp d'entraînement où l'attendait sa faction. Klauth'k, qui en était le Chef, entraînait rudement ses hommes, non pas pour le plaisir de les brutaliser, mais afin qu'ils reviennent en vie auprès de leur famille, une fois que cette guerre stupide qui les attendait aurait pris fin.
Làidir commençait à se demander si d'autres Prédateurs étaient comme Klauth'k. Lui non plus ne comprenait pas cette guerre absurde et il aurait bien aimé en savoir plus sur ses commanditaires. Pourquoi un tel acharnement contre les nanouvôthiens ?
Klauth'k conduisit sa faction jusqu'à la ripisylve à l'est de la cité. C'était l'endroit rêvé pour un bon entraînement. Les hommes devraient ainsi faire preuve d'intelligence en utilisant leur environnement pour ne pas trop s'exposer à leur ennemi et pour maîtriser leurs déplacements sur la terre et dans l'eau.
La faction entra en silence dans la ripisylve, entièrement reconstituée en résine, les arbres étant devenus rares sur Anghônara. Composée essentiellement de frênes et de saules, mais aussi d'aubépine et de joncs, la ripisylve semblait bien réelle et plongeait la faction dans un décor réaliste qu'ils retrouveraient bientôt sur Nanouvôth. Klauth'k faisait des signes à ses hommes afin de ne pas trahir leur position. La faction entra dans le petit cours d'eau et continua à avancer sans bruit. Klauth'k leur indiqua l'endroit où se hisser sur l'autre rive.
Quelques minutes plus tard, la faction menée par Klauth'k tombait sur l'ennemi, qui n'était autre qu'une autre faction en entraînement. La violence de la manœuvre surpris Làidir. Très vite, la faction qui s'était laissée surprendre se rendit tant celle de Klauth'k était d'un niveau bien supérieur. L'entraînement était terminé. Klauth'k félicita ses hommes. Ils avaient confiance en lui et appréciaient de l'avoir pour Chef.
Klauth'k fut appelé pour une réunion tactique auprès de l'état-major. Leur Commandant en Chef leur précisa que l'heure était venue pour eux de partir pour Nanouvôth et de conduire leurs factions à la victoire.
- Votre mission consiste à envahir Djourah, dernière province à résister. L'histoire ne se répètera pas comme il y a cinq cents ans. Cette fois, aucune aide extérieure ne parviendra aux nanouvôthiens. La cité de Bhaile est en effet le seul point de magie qui reste encore debout. Toutes les autres provinces sont déjà tombées. Alors, prenez la cité ou ne revenez pas ! Des navettes vous attendent pour vous conduire, vous et vos factions, jusqu'à Nanouvôth. Soyez fiers d'être les fils d'Anghônara ! Etes-vous fiers ?
Comme à l'accoutumée, les chefs de faction reprirent dans un bel ensemble :
- Oui, nous sommes fiers d'être les fils d'Anghônara !
- Etes-vous les plus forts ? » surenchérit le Commandant en Chef.
- Oui, nous sommes les plus forts !
- Etes-vous prêts à vaincre pour revenir auréolés de gloire ?
- Oui, nous sommes prêts !
- Parfait ! Rompez.
Klauth'k et les autres chefs de factions montèrent avec leurs troupes à bord des navettes qui décollèrent bientôt pour Nanouvôth.
Làidir ressentait beaucoup de sentiments contradictoires. La plupart des Prédateurs ne semblaient pas être pour cette guerre. Klauth'k regarda au travers du hublot. La navette quitta l'orbite d'Anghônara. Reverrait-il sa famille ? Retrouverait-il sa belle et tendre compagne ?
Làidir se demanda également s'il reverrait sa douce Hôlyana. Il se retrouva d'un coup dans la grotte, face aux patriarches. Le voyage au travers de l'esprit du Prédateur semblait terminé. Làidir se rendit compte de la puissance des patriarches, car tout ce qu'il avait vécu depuis qu'il était arrivé s'était déroulé dans son esprit. Et tout avait l'air si vrai...
« Làidir, enfant de Nanouvôth, quelles conclusions as-tu tirées de ton voyage ? Quel destin choisis-tu pour les tiens ? »
- Mon voyage m'a beaucoup appris et a changé mon regard sur les Prédateurs et les anghônariens en général. En dehors de certaines particularités physiques, notamment la couleur de leur sang qui est bleu alors que le nôtre est vert, ils semblent plus proches de nous que je ne l'imaginais. J'ignore ce qui les pousse à la guerre, mais j'ai bien ressenti que la plupart ne la souhaitaient pas. Je sais que votre sagesse va m'aider, mais je doute encore cependant. Mon choix n'est-il pas trop présomptueux ?
« Tes doutes sont là pour renforcer ta sagesse. Les esprits des anciens vont t'aider à continuer à progresser. »
Instantanément, les bulles qui entouraient les trois chênes se dirigèrent toutes vers Làidir, qui n'eut aucun mouvement de recul, malgré cette brutale formation autour de lui. La nuée de bulles l'entourait à présent. Différentes approches du conflit apparurent mentalement à Làidir, qui recevait en même temps les préconisations des anciens nanouvôthiens. Chaque piste fut décortiquée, au travers d'un questionnement sans relâche, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de questions. Les bulles se retirèrent autour des trois chênes, aussi brusquement qu'elles étaient arrivées. La toute dernière question fut posée par les patriarches.
« Làidir, nous t'avons présenté toutes les possibilités que nous avions d'intervenir dans ce conflit, ainsi que toutes les pistes des conséquences probables des actions menées et à venir. Penses-tu être digne de porter vers Nanouvôth l'offre que nous te faisons par rapport à la voie que tu souhaites emprunter ? »
- Oui, et je vous remercie pour votre aide. J'espère juste qu'il n'est pas trop tard.
« Le temps n'a pas d'importance... »
Làidir ressentit des milliards de picotements dans tout son corps, signe que le voyage de retour avait commencé. Pour le faire venir, Ozmalött avait procédé à sa transformation grâce à la magie du cristal d'esprit. Il avait alors ressenti les mêmes sensations, tandis que son corps disparaissait, transformé en particules de lumière. La dernière chose qu'il avait vue était le regard de sa mère. Elle comptait sur lui. Il avait ressenti son inquiétude mais aussi la confiance qu'elle plaçait en lui. Làidir savait qu'il avait fait le bon choix car les patriarches semblaient plutôt sereins. Làidir était persuadé qu'ils en savaient beaucoup plus que ce qu'ils voulaient bien dévoiler. Pour lui, d'après ce qu'il avait pu voir et ressentir au contact des bulles et au travers de son expérience dans l'esprit du Prédateur, les nanouvôthiens et les anghônariens étaient extrêmement proches et similaires sur bien des plans. Ils ne pouvaient être qu'issus de la même racine et dans leur histoire, il devait forcément y avoir une source commune à laquelle ils avaient dû boire dans un très lointain passé.
Etant frères ou pour le moins, cousins, ils devaient se réconcilier et faire en sorte que leurs deux mondes se rapprochent, pour que chacun bénéficie de ce que l'autre avait su créer ou développer. Pour les nanouvôthiens, il s'agirait d'intégrer une part de technologie et de science à leur culture, notamment spatiale. Cela leur permettrait de rendre visite aux anghônariens qui eux, pourraient intégrer à leur mode de vie la magie des cristaux et le rapprochement avec la nature, qui apparaissait comme mourante sur Anghônara. Pour l'heure, il était temps de rentrer pour mettre fin à cette guerre avant qu'il ne soit trop tard.
Sylveen S. Simon