Les Contes de Djourah
Chapitre 9
Dans la cité, chacun s'activait aux préparatifs. Il s'agissait d'un grand jour, au moins aussi important que celui où furent écrits les Contes de Djourah. Troubadours, poètes, peintres et écrivains, artistes de tous bords, tous se préparaient à l'événement, excités et impatients de créer et formaliser, par tous les arts possibles, l'histoire de ces instants historiques. Un premier calligramme était en train de naître sous les yeux ébahis des passants. Le poème formait un cœur dont une moitié était dorée et l'autre bleue. Des musiques et des chants commençaient à relater les dernières heures de ce que tous nommaient « Le jour de l'union ». Il était important, pour les générations futures, que ce qui fut vécu des deux côtés soit narré, peint, dessiné. Aussi n'étaient-ce là que les prémices d'une œuvre immense qui devrait inclure également les artistes anghônariens.
La délégation anghônarienne fit bientôt son entrée dans Bhaile. A sa tête se trouvait Ozmalött, que les anghônariens avaient jugé bon d'asseoir sur une sorte de chaise qui flottait dans les airs. Fier de son arrivée, ainsi juché sur son trône technologique, Ozmalött souriait de toutes ses dents, du moins, celles encore présentes. Derrière lui, les Prédateurs défilaient avec leur casque sous le bras, laissant leur chevelure bleue flotter au vent. Les plus anciens avaient leurs cheveux zébrés de blanc, donnant à la procession une vision d'océan bordé d'écume. Les Chefs de faction marchaient fièrement, la tête haute. Leur armure étincelait sous les rayons du soleil. Leurs familles fermaient la marche de la délégation. Les femmes étaient recouvertes d'un long vêtement gris ou marron, ne laissant guère entrevoir à quoi elles ressemblaient. Elles tenaient auprès d'elles quelques jeunes enfants, dont les yeux étaient emplis d'étonnement à la vue de la cité. Bhaile, magnifique, était l'opposé des cités sombres et tristes dans lesquelles ils vivaient. Aussi avaient-ils pour la plupart un étonnement marqué par une bouche en forme de O. Les adolescents étaient quant à eux captivés par les couleurs chatoyantes des vêtements que portaient les nanouvôthiennes, ainsi que par les teintes multiples de leurs cheveux, qu'elles laissaient libres au gré du vent.
Tout en descendant les dernières marches de la grand' cour, Azmera prit la parole :
- Je vous souhaite à tous la bienvenue. Vous êtes invités à profiter des festivités, en attendant que soit mise en place la cérémonie du traité de paix.
Azmera et Làidir accueillirent la délégation. Klauth'k et les autres chefs de faction rebelles étaient en tête du cortège et vinrent les saluer en premier. Ozmalött descendit doucement de sa chaise. Il semblait s'être bien amusé. Il se tourna vers Klauth'k et lui demanda :
- Pensez-vous que je pourrais en avoir une comme ça ? Cela pourrait m'aider certains jours où le poids de mes années se fait plus lourd à porter.
- Je vous invite à conserver celle-ci, qui semble vous avoir adopté. » lui répondit Klauth'k en lui faisant un clin d'œil.
- Oh, merci ! Merveilleux !
Hôlyana s'approcha, salua Klauth'k puis glissa quelques mots à Ozmalött sur l'état de Djaïr, qui restait inconscient malgré tous les soins apportés.
- Oh, mais oui, où avais-je la tête ? J'arrive immédiatement !
Klauth'k, qui avait entendu le ton inquiétant de la conversation, fit signe à une jeune anghônarienne d'approcher et proposa :
- Avec tout mon respect Ozmalött, votre ami pourrait peut-être bénéficier de notre technologie médicale, en complément de vos soins bien entendu. Je vous conseille de prendre avec vous Khal'mah. C'est un excellent médecin. Elle pourra également faire le tour de tous les blessés.
- Excellente idée ! Et puis, cela vous permettra d'ausculter votre premier Nanouvôthien. » lui glissa Ozmalött au travers d'un sourire malicieux.
Khal'mah lui rendit timidement son sourire. Hôlyana l'encouragea à la suivre et ils entrèrent tous les trois dans la grand' cour. Des lits de fortune avaient été installés un peu partout, mais l'endroit restait plutôt ordonné et propre, ce qui était indispensable pour les blessés.
Khal'mah semblait chercher quelqu'un, ce qui n'échappa pas à Hôlyana.
- Peut-être cherchez-vous un ami ?
- Oui... en fait, je regardais si mon père ne se trouvait pas parmi les blessés. Il n'était pas à la base et personne ne semble l'avoir vu depuis l'attaque.
- Je vous en prie, faites le tour des premiers lits ici, puis nous monterons à l'étage où les blessés les plus graves ont été installés.
- Il y en a d'autres à l'intérieur ?
- Oui, beaucoup d'autres malheureusement. La bataille a été très... sauvage. Sans parler des précédents assauts où nos rangs ont déjà compté beaucoup de blessés. Pour les pertes, les corps se trouvent à l'extérieur de la deuxième cour ouest de la ville. Les esprits des anciens sont avec eux pour les apaiser avant leur ascension.
- Très bien. Commençons ici alors.
Khal'mah passa les deux heures qui suivirent au chevet des blessés. Elle soignait très facilement les anghônariens et comprenait de mieux en mieux l'anatomie nanouvôthienne, qui n'avait en effet que très peu de différences avec la sienne, hormis le fait que certains organes étaient en double. La dissemblance majeure se situait au niveau de la composition sanguine, ce qui avait nécessité de reparamétrer certains matériels. Mais elle s'en sortait plutôt bien.
Khal'mah était douce, autant dans ses gestes que dans ses paroles, et son regard bienveillant accentuait sa grâce naturelle. Et si certains nanouvôthiens semblaient surpris à son arrivée auprès d'eux pour les soigner, ils se sentaient très vite apaisés. Afin d'être au plus proche des blessés et les mettre en confiance, Khal'mah avait abaissé son capuchon, dévoilant son visage aux traits d'une extrême finesse. Ses grands yeux renvoyaient la bonté de son âme. Ses lèvres rappelaient la douceur des velours rouges de Djourah. Ses longs cheveux bleus ondulaient légèrement, formant sur son front des accroche-cœurs très féminins.
Khal'mah avait fait le tour de tous les blessés de la grand' cour. Hôlyana l'invita à rejoindre Ozmalött à l'étage, où elle trouverait encore d'autres blessés. Elles arrivèrent au chevet de Djaïr, où se tenaient déjà Djourmagh et Ozmalött. Khal'mah s'approcha :
- Vous semblez soucieux. Son état s'est-il aggravé malgré vos bons soins ?
Djourmagh semblait captivé par sa beauté et balbutia un « euh... je... ne sais pas... ». Hôlyana sourit et, attrapant le bras de Djourmagh pour le sortir de sa léthargie, précisa :
- Eh bien Djourmagh, Khal'mah est médecin et va s'en assurer si tu veux bien.
Djourmagh se décala afin de laisser passer Khal'mah. Lorsqu'elle sortit ses instruments, Ozmalött et Djourmagh ne la quittèrent pas des yeux, l'un par curiosité, l'autre par précaution. Au bout de quelques minutes, Khal'mah leur annonça son diagnostic :
- Je vais avoir besoin d'opérer. C'est bien plus grave qu'un pneumothorax. Le traumatisme thoracique est beaucoup plus profond.
- Je vois, ... le repos et les cristaux ne seront pas suffisants alors. » marmonna Ozmalött.
- Je ne pense pas, non. Votre ami peut s'en sortir si je l'opère. M'autorisez-vous à...
Djourmagh la coupa d'un air qui se voulait menaçant :
- Attendez, Djaïr est mon ami et je ne tiens pas à le perdre. Alors je vous autorise seulement à le sauver, d'accord ?
Khal'mah sourit à Djourmagh, ce qui le replongea dans sa douce léthargie. Hôlyana s'en amusa et glissa tout bas à Khal'mah :
- Etes-vous certaine que votre mère n'a pas de talents d'envoûteuse ?
Khal'mah lâcha un petit rire cristallin et répondit doucement : « Oui, j'en suis sûre. »
Ozmalött invita Djourmagh et Hôlyana à sortir de la pièce afin de laisser Khal'mah se concentrer sur l'opération. Celle-ci dura près d'une heure. Puis Khal'mah les invita à entrer.
- Tout s'est bien passé ? » s'enquit Djourmagh.
- Oui, tout s'est très bien passé. Voyez par vous-mêmes... » Khal'mah s'effaça pour les laisser passer. Djaïr avait repris conscience et semblait en effet aller beaucoup mieux. Ozmalött s'approcha et chercha une cicatrice, mais il n'y avait rien. Khal'mah lui présenta un petit stylet laser bien pratique pour suturer sans laisser de traces. Pour Ozmalött, l'instrument était plus proche de la magie que de la technologie, ce qui amusa Khal'mah.
- Je pense que nos deux médecines sont complémentaires. Nous vous apprendrons à utiliser nos instruments et vous nous formerez aux décoctions et à l'usage des cristaux. » dit-elle.
- C'est un excellent compromis ! Je vais en parler à Azmera, qui sera sûrement d'accord.
- Pardonnez-moi, mais je vais continuer à faire le tour des blessés. Je n'ai pas encore retrouvé mon père et j'aimerais m'assurer qu'il va bien.
- Oh, mais oui, bien entendu. Nous allons vous accompagner et vous aider à le trouver. Djourmagh, peut-être préfères-tu rester au chevet de Djaïr ?
- Non merci Ozmalött, il vaut mieux que vous restiez pour le cas où il aurait besoin d'un remède. Je me charge d'accompagner Khal'mah. On y va ?
Djourmagh tendit son bras à Khal'mah qui s'en saisit et le suivit. Hôlyana et Ozmalött échangèrent un sourire entendu.
Sylveen S. Simon