Ouranos : chapitre 1
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Le chaos du passé
« C'était un temps plein de contradictions.
Avant le premier chaos, Nyx et Erèbe créèrent l'œuf primordial.
Mais la Nuit et les Ténèbres ne pouvaient créer la lumière, qui leur était étrangère.
L'œuf resta sombre et stérile durant des millénaires.
Chronos (le Temps) s'unit à Ananké (la Destinée).
Ensemble, ils formèrent une membrane au sein de l'œuf primordial, qui engendra Protogonos, premier élément créateur de l'Univers.
Ether (la lumière Céleste) s'unit à Héméra (le jour).
Ensemble, ils fécondèrent l'œuf primordial, qui donna naissance à Gaïa (la Terre), Thalassa (la Mer) et moi, Ouranos (le Ciel).
L'Univers, en pleine expansion, récupéra les morceaux de coquille de l'œuf primordial pour former les galaxies et ainsi décupler la Vie sous différentes formes.
J'eus moi-même près de cinquante enfants. Ma plus belle réussite reste cependant la naissance de l'Aphrodite Céleste, ma déesse de l'Amour qui m'a tant apporté. Pour elle, j'avais créé la planète Vénus, mais lorsque j'ai été banni, Aphrodite a été séparée de moi et la planète est morte, sans que je puisse faire quoi que ce soit pour sa renaissance, car elles étaient liées.
Il est vrai que j'étais jeune et insupportable pour ceux qui me côtoyaient. Je m'en rends compte à présent, car j'ai mûri et me suis assagi au fil des millénaires. Mais revenons-en à ce chaos dans lequel nous vivions à l'époque.
Protogonos ne cessait de créer des archanges sensés m'aider dans mes œuvres, mais certains n'étaient là que pour lui rapporter mes faits et gestes, qu'il s'empressait de répandre comme un mauvais écho auprès des Premiers, ce qui ne manquait pas de renforcer leurs inquiétudes à mon sujet.
Bientôt, dieux et archanges se divisèrent, incapables de s'entendre. Tout le monde me demandait tout le temps des changements ou me faisait des reproches, quand il ne s'agissait pas de moqueries imbéciles auxquelles l'agressivité de ma jeunesse ne manquait pas de répondre.
Cela devenait ingérable et surtout, il était très agaçant pour moi de voir que mon travail n'était pas apprécié à sa juste valeur.
J'avoue que mes premières créations furent un peu... précipitées. Elles n'étaient pas maîtrisées, loin de là. Certaines étaient pourtant assez convenables je dois dire, et parfaitement gérables pour les archanges. Mais les Premiers n'étaient pas de cet avis.
Vois-tu, j'étais plutôt pour l'immutabilité dans ma façon de faire et je refusais de changer quoi que ce soit dans ma façon de créer. La pluralité de mes créations m'opposait en tous points à l'esprit manichéen de ceux qui m'entouraient.
Cette constance me permettait cependant de garder le pouvoir sur cette matière que je modelais à ma manière et que je remplissais de mes œuvres parfois si décriées.
Sans m'en rendre totalement compte, je cherchais surtout à échapper à la dualité que l'on souhaitait m'imposer entre ce qui était jugé comme mal et ce qui était élevé au rang de bien. J'évitais à tout prix de m'y confronter.
Je pouvais structurer avec rigueur de nouveaux mondes, former avec justesse et précision chaque élément sensible en lieu et place qu'il devait tenir et dans la forme que je souhaitais lui donner.
Ils ne comprenaient pas que tout cela puisse aller bien au-delà de la lumière et de l'obscurité, du bien et du mal, du temps et de l'espace.
Je trouvais leur vision archaïque et étriquée ; je désapprouvais ouvertement leur façon de penser et m'opposais constamment à eux. Ces affrontements stériles étaient sans fin. Ils ne voyaient le beau que dans la lumière et la perfection des lignes. Moi je voyais la beauté du velours de la nuit qui s'emplissait de perles d'amour de toutes formes.
Puis, tu fus créé. La lumière de ton intelligence était sensée tout arranger et tes capacités nous guider vers un parfait équilibre. Tu fus la dernière création à laquelle participa Protogonos avant qu'il ne s'éclipse je ne sais où.
Les Premiers semblaient penser qu'il avait dû promettre à Apollyon de disparaître s'il acceptait de participer à ta création, car seule une création commune de Protogonos et d'Apollyon serait à même de parvenir à la perfection dont tu es la preuve vivante aujourd'hui. L'union parfaite de l'ombre et de la lumière. Mais tout a un prix.
Certains Premiers pensaient que Protogonos s'était peut-être retiré dans la Grande Membrane, l'élément nourricier qui entoure l'ensemble des univers et sépare les espace-temps. D'autres pensaient qu'il avait rejoint Apollyon dans un espace où ils continuaient à s'affronter.
Quoi qu'il en soit, les Premiers n'acceptaient toujours pas la situation et ne voulaient pas en rester là avec moi. Ils voulaient clairement mettre fin à mes agissements, une bonne fois pour toutes.
Il faut dire que chaque fois que je perdais patience, je précipitais bon nombre de mécontents dans le chaos. Cela ne générait que de nouvelles envies de vengeance. Jusqu'à ce jour malheureux où ma colère provoqua la destruction des deux planètes dont je t'ai parlé, et à partir desquelles j'ai créé Mitéra, ce qui n'a pas suffi à racheter ma faute ni me faire pardonner. Il faut que tu saches que sur l'une d'elles se trouvait l'Olympe, qui abritait le Conseil.
Je n'avais rien de particulier contre le domaine des dieux, mais ce jour-là, je n'avais pas su réprimer ma violente colère qui conduisit à ce désastre, sans que je le désire vraiment, je t'assure. Ce fut là ma dernière colère...
La leçon fut douloureusement apprise car lorsque les Premiers, aidés de quelques archanges, ont fini par comprendre que j'étais derrière cette catastrophe, leur décision fut prise de me bannir à jamais.
Bien avant qu'ils ne se rendent compte de la chose et afin de faire évoluer mes créations plus tranquillement, il me parut intéressant de m'installer quelques temps sur Terre. Je choisis la péninsule du Péloponnèse, où je pouvais ainsi veiller sur l'élide et développer cette région qui me plaisait tant.
C'est là que tu m'as rejoint durant un temps et que nous avons créé des liens forts. Le peuple Atlante absorbait par ailleurs toute notre concentration. C'était là une œuvre qui t'intéressait au plus haut point et que tu aurais voulu pouvoir guider encore longtemps sur le fil de l'évolution. Mais les échanges entre archanges continuaient à se dégrader à vue d'œil.
Lorsque tu t'es absenté pour les rejoindre et tenter de rééquilibrer les choses auprès d'eux, nous avons perdu l'Atlantide. La vengeance a cette implacable qualité chez les âmes faibles qu'elle les pousse à faire l'impensable et l'irréversible.
Cela t'a profondément marqué. C'est à cette période que tu t'es acoquiné avec Lucifer, que tu voyais d'ailleurs beaucoup trop à mon goût. Il t'influençait jusque dans tes désirs, mais tu n'étais pas comme lui. Et même si tu le comprenais à certains égards, tu n'approuvais pas l'ensemble de ses idées, fort heureusement.
Durant les siècles qui ont suivi, nous vîmes les archanges s'entre-déchirer jusqu'à la grande révolte. Durant cette période où tu as été mon Liminaire Aggelos, nous avons entrevu une issue. Mais elle nécessitait du temps. Beaucoup de temps...
J'ai alors pris ma décision de me fondre à nouveau dans la nuit, comme au Commencement, laissant les derniers archanges livrés à eux-mêmes.
Tu as toi-même pris ta décision de prendre du recul par rapport à tous ces événements. J'ai suivi tes évolutions, sur Terre et ailleurs, avant de te perdre de vue quelques temps.
Il m'a fallu longtemps pour repérer ta trace sur la fin de ce dernier millénaire, et c'est en partie grâce à Erevnitis que j'y suis parvenu. Tu vois, rien n'est jamais totalement inutile, bon ou mauvais. Les choses, tout comme les êtres vivants, sont faites pour servir un jour à quelque chose ou à quelqu'un.
Je vais à présent terminer mon récit.
Comme je te l'ai dit, ton étincelle est unique. Elle est composée en majeure partie de l'essence des Premiers et d'un parfait équilibre entre les différentes forces de l'Univers originel. Protogonos et Apollyon ont bien œuvré...
L'anlage de tes cellules nous ramènera toujours à leur naissance. Tes capacités sont infinies, Exypnos. C'est pourquoi toi seul peux traverser, trouver le couloir par-delà le trou noir et ouvrir le passage qui te conduira aux Premiers et à ce qu'il reste du Conseil, afin d'obtenir leur aide.
Mais eux-seuls pourront décider de me libérer de cet espace-temps et de le sauver. Ce sera à toi de les convaincre.
A présent, Exypnos, tu as compris que tu es le seul à pouvoir réparer les dégâts que j'ai provoqués et faire en sorte que chaque chose reprenne sa place dans cet univers. »
Exypnos resta un moment silencieux.
- « Ouranos, tu m'as souvent menti et, au final, la confiance que je te portais a été quelque peu... égratignée. Il faut que je réfléchisse à tout ça. »
- « Tu es Éxypnos ángelos. Je ne voulais pas heurter ton intelligence... »
- « Tu m'as néanmoins menti ! »
Exypnos sentait une colère mêlée de désespoir l'envahir. Mais il savait combien il était important de contenir ces sentiments qu'il savait si bien maîtriser à présent.
- « Uniquement par omission... Ne te fâche pas, mais... tu as un destin à accomplir qui n'est pas celui que tu envisageais. Il est bien plus grand que tout ce que tu pouvais imaginer. Si tu réfléchis bien, ton envie d'en savoir plus ces dernières années sur les mondes parallèles n'était pas anodine. Tes recherches sur les failles temporelles dans le laboratoire de Flora n'étaient qu'un appel de ton destin qui se précisait. Suis ta conscience, Exypnos. Elle te conduira tout naturellement où tu dois aller. »
Exypnos soupira. Ouranos avait beau faire une moue de supplicié qui se voulait drôle, Exypnos resta de marbre devant ce visage de carnaval digne de la Commedia dell'arte. Il ne lui accorda aucun crédit, même pas l'ombre d'un sourire.
- « Tu me demandes de tout sacrifier, d'abandonner Flora, Kýklos et mes rêves, tout ça pour retrouver les vestiges d'un passé depuis longtemps révolu. Et surtout, pour te sauver toi ! »
- « Exypnos, il n'y a malheureusement que deux solutions à cette équation. Sois tu réalises ce pour quoi tu as été créé, soit tu ne fais rien et tout cet univers disparaîtra, Flora avec. Ainsi que Kýklos et tout ce que tu connais. Moi y compris. »
- « Cet univers mettra des milliards d'années à disparaître. Pourquoi es-tu si pressé ? Qu'est-ce que tu me caches encore ? »
- « En fait, le temps que tu trouves le bon passage, que tu l'empreintes, que tu arrives de l'autre côté, que tu expliques la situation à ceux que tu rencontreras, qu'une décision soit prise, qu'une action soit menée et qu'elle porte ses fruits, il s'écoulera bien plus de temps que tu ne le penses Exypnos. Les deux Univers ne sont pas forcément sur le même espace-temps et... »
- « Donc, quoi que je fasse, je perdrai Flora... C'est bien ça ? »
- « Pas forcément... je peux l'aider à atteindre le dernier niveau d'ascension qui lui permettra d'être là à ton retour. Elle en a les capacités. Cela prendra du temps, mais tu la retrouveras. Dans cette dimension ou dans une autre, sous cette forme ou sous une autre, tu la retrouveras. Et si tu arrives à sauver cet univers sans trop trainer en route, tu retrouveras tout ce que tu auras laissé en partant quasiment dans le même état à ton retour. »
Exypnos fixait le regard d'Ouranos, mais il n'y voyait rien qui aurait pu lui indiquer qu'il cherchait à le tromper.
- « Je vais réfléchir et te donnerai ma réponse demain. »
- « Parfait. Alors, à demain. »
Ouranos s'éclipsa, laissant Exypnos à sa réflexion, en plein chaos avec lui-même..